Livre d’occasion : l’explosion se confirme et suscite des inquiétudes

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Publié le 03/03/2025
Temps de lecture : 5mn
Le livre d’occasion en France : 80 millions d’ouvrages achetés en 2022 (50% sur la Toile). © S. Maurice / Aprim
80 millions de livres d’occasion se sont vendus en France en 2022, dont un sur deux en ligne. Une bonne nouvelle pour la lecture ? Pas si sûr. Bousculée par l’explosion de ce marché, la filière s’interroge.

Un livre sur cinq vendu en France est un livre d’occasion. C’est l’un des chiffres clés d’une étude réalisée en 2023 par la Sofia (Société française des intérêts des auteurs de l’écrit), avec le ministère de la Culture. Elle situe l’ampleur et les ressorts de ce marché, où 50 % des achats se font en ligne. « Les plates-formes et les nouveaux usages numériques ont totalement changé la donne », commente Geoffroy Pelletier, directeur de la Sofia, avec pour corollaire « des achats désormais prémédités, via des systèmes d’alertes et de comparatifs, qui permettent à tous de trouver en quelques clics un livre en particulier, au meilleur état et au meilleur prix. »

Tous les segments éditoriaux sont concernés, à commencer par le polar, dont un titre sur deux est acheté d’occasion. « Ce marché pèse 350 M€ au bas mot, c’est dire le manque à gagner pour les acteurs du livre. » Le livre d’occasion investit aussi les salons, surtout en BD. On trouve des stands dédiés lors de festivals normands confirmés comme Des Planches et des Vaches ou Normandiebulle.

Un marché en ligne

Une telle reconfiguration suscite des inquiétudes sur les conséquences économiques mais aussi environnementales. Pour certains genres comme le polar, la SF ou la BD, la part du livre d’occasion a beaucoup enflé et pourrait laisser craindre un effet ciseau dans la filière livre, les volumes de l’occasion prenant progressivement le pas sur le neuf.

Par ailleurs, le lieu des transactions s’est également déplacé sur la Toile, vers les marketplaces et surtout entre particuliers, via les sites de revente directe comme Le Bon Coin ou Vinted. « Ces acteurs génèrent du transport de façon massive. Il est par ailleurs décevant de lire que les motivations des clients ne sont pas environnementales, mais économiques », écrit Mathilde Rimaud, spécialiste en développement commercial pour les maisons d’édition et les librairies, dans la revue Éclairages (1).

Pour autant, l’intérêt du public pour l’occasion pourrait être perçu comme une preuve de bonne santé de la lecture en France. Ne plus condamner au pilon et remettre dans le circuit des ouvrages « usagés » est une tendance louable. D’autant que, dans les bibliothèques aussi, on donne de plus en plus une nouvelle vie au livre « désherbé ».

Comment payer les auteurs et les autrices ?

Devant ce marché de plus en plus juteux, la question de la juste rémunération des acteurs et actrices de la filière s’impose dans le débat. « L’un des enjeux majeurs de ce nouvel eldorado du livre reste la possibilité de tirer de ce marché peu contraint des revenus complémentaires pour les auteurs et autrices qui ne touchent rien sur ces reventes », développe Mathilde Rimaud.

Taxe ? Compensation ? Rémunération ? Le monde du livre espère une réaction du législateur. Emmanuel Macron s’est dit, l’an dernier, favorable à une taxation sur les transactions, et des projets d’amendements pour une contribution des plates-formes ont circulé au Sénat fin 2024 avant que ne soit enterré le débat budgétaire. « C’est d’autant plus urgent que l’essor de ce marché ne s’essouffle pas, comme le montrent des estimations toutes récentes », ajoute Geoffroy Pelletier.

Chez les libraires, le phénomène de « plateformisation » façonne un nouveau modèle de ventes. © Stéphane Maurice / Aprim

La filière cherche à s’adapter

Anecdotiques mais encourageantes, des initiatives sortent ici et là, comme sur le site de vente d’occasion La Bourse aux livres, qui propose à ses utilisateurs de reverser jusqu’à 10 % de la valeur de leur achat aux auteurs et autrices. Chez les libraires aussi, où l’essor de l’occasion peut également nourrir des inquiétudes, le phénomène de « plateformisation » façonne un nouveau modèle de ventes. Comment intégrer ce nouveau marché ? Seulement 20 % des libraires interrogés dans l’enquête de la Sofia proposent des livres d’occasion. Et certains cherchent à structurer une offre sélectionnée. Geoffroy Pelletier espère que l’intelligence collective permettra une clarification devenue nécessaire. « Je pense qu’on peut trouver une solution qui préserve le livre d’occasion sans pour autant que ça nuise aux acteurs et actrices du livre. » Pour l’heure, la question reste entière.

(1) La revue de l’Agence Livre Cinéma et Audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine, printemps 2024.

Laurent Cauville / Aprim

REPÈRES

Le livre d’occasion en France (en 2022) :

• 9 millions d’acheteurs (+11% sur 5ans).

• 350 M€ de CA (9 % du marché de l’édition, +49%en 5ans).

• 4 Français sur 10 revendent leurs livres.

• 80 millions d’ouvrages achetés (20 % du marché du livre en volume, 1 sur 2 sur Internet).

• + 38 % de ventes sur 5 ans.

Source : Le Marché du livre d’occasion, étude Sofia / Ministère de la Culture, 2023

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