La découverte d’un imprimé normand du 16e siècle alimente la recherche historique sur le théâtre français 

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Publié le 15/09/2025
Temps de lecture : 5mn

Le seul imprimé connu de la pièce « Mystère de saint Julien », écrite sous François Ier par le poète normand Nicolas Osber, a refait surface à Madrid 500 ans après. Cette découverte majeure pour l’histoire du théâtre et pour les spécialistes de littérature normande ancienne, a nourri un colloque à Cerisy cet été. 

La page de titre « Le ieu et mistere de monsieur saint Julien… » (© Madrid, bibliothèque nationale, R. 7438)

La découverte en 2021 d’un exemplaire imprimé de la pièce de théâtre le Mystère de Saint Julien, représentée à Carentan (Manche) sous François Ier, en 1529-1530, est un évènement majeur. On pouvait en effet penser que toutes les pièces de ce genre littéraire avaient été identifiées, éditées et analysées. Ce nouveau document est une pièce précieuse pour nourrir l’histoire du théâtre français, en particulier du point de vue de l’émergence de l’ancien théâtre francophone.  

Retrouvé à Madrid par un chercheur du Canada 

Seul exemplaire connu de cette pièce, imprimée en 1530, le document a été retrouvé en novembre 2021 à la bibliothèque nationale de Madrid (cote R. 7438) par Mario Longtin, professeur agrégé de littérature médiévale à l’université Western Ontario (Canada), philologue et spécialiste de l’ancien théâtre français (XIIIe et XXIe) et Denis Hüe, professeur émérite de la langue et de la littérature du Moyen Âge et de la Renaissance (illustration 1).  

L’auteur de cette pièce d’un peu moins de 10600 vers, mettant en scène 80 personnages (illustration 2), Nicolas Osber, avocat de François Ier (1515-1547), fut probablement étudiant de l’université de Caen. Originaire d’une famille carentanaise renommée ayant émergée durant la guerre de Cent Ans, Nicolas Osber était connu au XVIe siècle en tant que poète. Il a fréquenté le Puy de Rouen, où certaines de ses pièces ont été primées au concours.  

D’après François Grudé, de La Croix du Maine, « Il a escrit en vers François, quelques poëmes à la loüange de Messieurs du Parlement de Roüen, & autres hommes doctes de ladite ville & pays de Normandie, lequel livre il a intitulé, Les figures & Epithetes de Messeigneurs du Parlement de Roüen le tout a esté imprimé avec le Recueil des Mots dorez de Caton l’an 1545 »

Les personnages (© Madrid, bibliothèque nationale, R. 7438)

Un colloque à Cerisy 

Ce mystère atypique vient d’être édité en juin et a fait l’objet en juillet, à Cerisy, d’un colloque exclusivement dédié : « Un Mystère à Carentan : le saint Julien retrouvé (1529) » (dir. Jean-Baptiste Auzel, Jérémie Bichüe, Denis Hüe et Mario Longtin).  

Au cours de cette rencontre, une étude littéraire et historique a été menée par des spécialistes pour penser les conditions de représentation du mystère et éclairer la vie culturelle en Normandie à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance. Le contexte de production et les enjeux dramaturgiques et linguistiques de l’œuvre ont également été approfondis dans une perspective plus large.  

Stéphane Lainé replace ainsi la langue de Nicolas Osber dans celle en usage en Normandie dans la première moitié du XVIe siècle. Grâce au colophon (illustration 3) et au jeu de caractères d’imprimerie employés, Marion Pouspin a pu démontrer que l’imprimeur rouennais était Étienne Danne et qu’il travaillait pour le libraire et éditeur de Caen, Michel Anger, lui-même originaire de Rouen.  

Fragments lus et chantés 

Les analyses littéraires révèlent un texte de qualité, produit par un écrivain et poète confirmé, maitrisant parfaitement l’art de la poésie dramatique. Dans son œuvre, la question du libre arbitre tient une place essentielle.  

Ce colloque a aussi permis de mener des expériences théâtrales proposées par le collectif de La Bourrasque, avec une restitution publique de fragments de la pièce (imprimée jour pour jour 495 ans plus tôt, le 30 juillet 1530), lus ou chantés, proposée par les découvreurs et les membres de l’association La Loure, associés à deux autres artistes (François Rémond et Chloë Richard-Désoubeaux). Des performances qui ont offert aux intervenants et aux spectateurs un moment décisif pour la réception sensible du texte. 

Stéphane Lecouteux

Le colophon (© Madrid, bibliothèque nationale, R. 7438)

Pour aller plus loin : 

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