François Vallejo, un regard à l’œuvre

Publié le 28/03/2025
Temps de lecture : 4mn
Près de trente ans après la sortie de son premier roman, François Vallejo a construit une œuvre dense au fil des seize romans aux sorties toujours remarquées. Dans son dernier livre, le Havrais d’adoption propose de suivre un couple improvisé, en fuite en Normandie face aux injonctions modernes, en quête d’une nouvelle vie.
© Anaïs Boileau / Flammarion

Votre seizième livre, Cet étrange dérangement, vient de paraître. Quel regard portez-vous sur votre œuvre ? La considérez-vous comme un « tout » avec un fil rouge ?

C’est vrai que j’essaie de constituer une dimension « œuvre », un ensemble qui ait sa cohérence. Même si les livres peuvent souvent sembler différents, j’essaie malgré tout de mettre en avant un certain type de personnage. La force des personnages est pour moi essentielle. J’essaie aussi de faire transparaître une forme d’écriture qui soit à la fois toujours la même et qui s’adapte à la situation particulière d’un livre. Pour moi, chaque livre est important en lui-même, mais il est dans le fil de l’autre et souvent je vois des liens, un livre a suscité l’autre.

Les deux protagonistes de Cet étrange dérangement, Blaise et Iris, se sentent en marge (de la société et de leurs familles) et se retirent en Normandie, pour vivre selon leurs propres règles… Qu’avez-vous souhaité mettre en évidence par cette trame narrative ?

À la suite de toute cette période de confinements et post-confinements, on a vu que beaucoup de gens, déstabilisés par la situation, n’avaient pas envie de reprendre leur vie d’avant, prenant conscience qu’elle était étriquée et pas forcément heureuse, avec le regard de leurs familles qui les rabaissait. J’ai voulu montrer cette envie de sortir d’une situation par un changement radical de vie.

Le poids des regards sur l’individu se fait sentir dans ce roman, le regard déformant des réseaux sociaux, ou le regard moralisateur des familles. C’est un marqueur de notre époque ?

Oui, c’est une thématique importante pour moi. La scène initiale, sur laquelle j’ai beaucoup travaillé, est cette femme [Iris] sur un toit, confrontée aux regards. Notamment le regard d’aujourd’hui, qui n’est pas le vrai regard mais le regard filtré par des smartphones. Dans cette histoire, tout le monde porte ce regard filtré sur elle, sauf un seul et c’est Blaise Astor [l’autre personnage principal]. L’écho de ces images capturées par les réseaux sociaux se retrouve régulièrement dans le livre. Les personnages sont confrontés à ce « filmage » de leur propre vie, une sorte d’intrusion, et c’est là que la question du jugement moral revient, car ce regard « d’objet » (le téléphone est un objet) vise d’abord à juger et souvent à dénigrer. C’est à cela que sont exposés les deux personnages par leur environnement.

Vous publiez depuis le début vos livres chez Viviane Hamy. Quelle est votre relation avec cette maison d’édition ?

Une fidélité et une profondeur se sont installées dans la relation. J’ai longtemps eu une relation strictement personnelle avec l’éditrice elle-même, qui m’a accueilli et lancé dans ce monde littéraire, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur mes livres. Elle s’est retirée depuis, mais je continue dans la même maison. J’ai un échange fort et concret sur les manuscrits avec la nouvelle éditrice.

Avez-vous plus de temps pour écrire depuis que vous avez arrêté d’enseigner, l’an dernier ?

Ce serait un piège de croire qu’avec plus de temps pour écrire on va s’y consacrer tout le temps. J’apprécie d’avoir plus de temps « ouvert ». Si je veux me mettre à travailler, je vais me donner un temps plus large qu’avant. Je n’ai pas l’intention d’écrire deux livres par an sous prétexte que j’aurai le temps de le faire. Je pense qu’il faut garder cette durée, qu’on a devant soi, et l’exploiter mieux qu’avant, mais je ne veux pas en faire plus.

Propos recueillis par Valérie Schmitt

Bio express

François Vallejo est né au Mans en 1960. Il a enseigné les lettres classiques jusqu’en 2024. Le Havre, sa ville d’adoption, a servi de cadre à son premier roman, Vacarme dans la salle de bal, paru en septembre 1998.
En 2001, François Vallejo a reçu le prix Roman France Télévisions pour Madame Angeloso.
En 2004, il a obtenu le prix des Libraires et le prix Culture & Bibliothèque pour Groom et, en 2007, le prix du Livre Inter pour Ouest.

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