Et si le livre d’occasion sauvait les librairies ?
À Rouen, la librairie L’Armitière a inscrit depuis longtemps le livre d’occasion dans son modèle économique. Entretien avec son directeur, Matthieu de Montchalin.

Des livres de seconde main dans une grande librairie généraliste ! Faut-il chercher l’erreur ?
Non, pas du tout. L’occasion, c’est dans l’ADN de notre librairie depuis toujours. Notamment avec la vente de livres scolaires. Toute l’équipe s’y implique sans réserve. Nous n’avons pas de fausse pudeur par rapport à l’occasion.
Quelles sont vos motivations ? Contribuer à l’économie circulaire ? Proposer des livres moins chers ?
C’est d’abord une nécessité économique pour l’entreprise. Quelle que soit leur taille, toutes les librairies foncent dans le mur. Le déséquilibre entre nos frais et notre marge ne cesse de s’accroître. Les éditeurs n’ont pas l’intention d’augmenter le taux de remise, et le marché ne va plus progresser. Donc, nous devons inventer de nouveaux relais de croissance et surtout améliorer nos marges.
Elles sont plus importantes sur l’occasion ?
Oui. Même si ça représente une activité assez faible de la librairie, l’occasion a un impact sur le résultat. Nous maîtrisons le rachat à 35% du prix neuf et nous revendons à 80%. Ce n’est pas la panacée, mais ça amène 1% de rentabilité à l’entreprise. Notre choix de faire de l’occasion est aussi lié à notre programme de fidélisation.
De quelle manière ?
Nous ne pratiquons plus la remise de 5% qui était valable avec notre carte de fidélité. Elle ne représentait pas un avantage significatif pour les clients et elle nous coûtait 135 000 € par an. Aujourd’hui, le titulaire de la carte profite de privilèges activables plusieurs fois dans l’année. Des cadeaux d’éditeurs, des réservations prioritaires pour les rencontres d’auteurs… Et il peut bénéficier de notre dispositif « Deuxième lecture ».

De quoi s’agit-il ?
Quand un client fidélisé achète un livre, il doit nous préciser s’il souhaite s’en séparer après l’avoir lu. Il dispose alors de deux mois pour nous rapporter l’ouvrage. Il n’y a pas d’argent sonnant et trébuchant mais un avoir sous forme de bons d’achat.
L’occasion empiète-t-elle sur les ventes de livres neufs ?
Non, pour nous, ce sont des ventes additionnelles. Nous rachetons plusieurs centaines de livres par mois et la revente est rapide, généralement moins d’un mois. Un Goncourt sera revendu dans la journée.
L’occasion soulève le problème de la rémunération des auteurs, qui ne perçoivent pas de droits sur la revente. Que vous inspire cette situation ?
Je me sens solidaire de la chaîne du livre et je suis d’accord pour participer à la réflexion et à la solution. Si demain il y a une règle pour rémunérer l’auteur à travers un dispositif de collecte, je jouerai le jeu, comme nous le faisons déjà pour le droit de prêt en bibliothèque. Nous avons les outils pour le faire. Pour les éditeurs et les auteurs, il vaudrait mieux vendre les livres d’occasion dans les librairies plutôt que sur des plateformes domiciliées à l’étranger. La seule limite à ma bonne volonté, c’est que je ne veux pas être le seul. Le législateur doit se saisir du problème.
Propos recueillis par Stéphane Maurice / aprim