Vagabondages poétiques : des tours et des détours de la langue

« Des tours » …   Et que de détours pour retrouver en fin de chaque texte la seconde moitié d’un vers emprunté à un autre poète dans une galerie qui va, à travers temps, à travers genres, de Charles d’Orléans au tchèque Jiri Sotola ou à la bretonne Oscarine Bosquet ! 

Entre les deux moitiés des vers retenus, Bruno Fern se livre à un vagabondage lexical voire syllabique quand il réduit les mots jusqu’à une lettre unique parfois rejetée à la ligne. Le cours de ses poèmes se fait ainsi par réminiscences, bouts de phrase comme saisis au vol, formules-clichés de conversations banales ou amorces de proverbes, tout un jeu d’associations diverses comme des bribes de conversations simultanées entendues au hasard des rues. 

Les mots sont alors le plus souvent désarticulés comme autant d ‘ « aboli(s) bibelot(s) d’inanité sonore » – p.71- 75. 

Exemple : 

BE 

Au milieu s’exhibe tourne plus de 7 fois la langue s’imbibe et bée se déboutonne se dérobe en bonus 

p.73 

Lignes, le second ensemble, reprend ce système mais Bruno Fern le place sous l’égide de E. E. Cummings qui s’interroge, dans une note de 1916 : « Comment obtenir le mouvement en divisant les mots, c-à-dire en composant par syllabes ? » 

Bruno Fern n’est pas aussi radical qu’Isidore Isou, inventeur du lettrisme en 1945. Sa démarche est toutefois dans la ligne de ce dernier mais il a pris soin de préserver les significations, fussent-elles juste ébauchées, et les références aux mondes poétiques. 

A la réflexion, ces deux ensembles en suites de mots et de sonorités font penser à ces comptines enfantines où on enchainait les mots par la reprise de la dernière syllabe pour lancer le terme suivant comme « tête de cheval cheval de course course à pied pied d’alouette… » ad libitum. Il y a dans ces jeux sonores quelque chose de primesautier qui peut plaire ! 

Daniel-Claude Collin

Des tours suivi de lignes – Bruno Fern – éditions Louise Bottu