Nathalie Léger : «J’ai le sentiment d’avoir “lu” la Normandie avant de la connaître»

Quel est votre premier souvenir de la Normandie ?
J’ai le sentiment d’avoir « lu » la Normandie bien avant de la connaître, et j’ai le souvenir précis de « chemins creux enfouis sous le chèvrefeuille », de haies d’aubépines, de jardins odorants, et jusqu’à « l’arrivée à Honfleur par la vieille route de Caen entre les grands ormes » que j’ai d’abord connus dans Proust, Maupassant ou Flaubert. Pour moi, née au bord de la Méditerranée, c’était un enchantement, la promesse d’une fraîcheur et d’une opulence encore inconnue.
Quels sont les lieux en Normandie qui vous inspirent ?
Immédiatement : la digue de Cherbourg, unique au monde, ouvrage militaire, certes, mais également chef-d’œuvre du land art posé sur la mer depuis 1783. On croit d’abord remarquer que la digue s’inscrit parfaitement dans le paysage, puis on comprend que c’est elle qui invente le littoral et construit la ville. C’est peut-être l’un des rares endroits au monde où l’on peut voir simultanément une performance technologique, car c’en est une, et le mémorial des péripéties de sa construction. Mais je pense aussi au cimetière américain de Colleville-sur-Mer : ce qu’on appelle le minimalisme américain est sans doute né en ce lieu, dans cet effort recueilli pour contenir, entre les 9 400 stèles blanches, une idée très concrète de la mort, de la mémoire et de l’histoire. Dans les deux cas, le ciel et la mer contribuent à la force des lieux.
Quel est l’auteur ou autrice de Normandie que vous admirez ou aimeriez rencontrer ?
Ah, j’aimerais beaucoup boire un café avec Nathacha Appanah pour l’écouter parler de son travail, et en particulier de son dernier livre, La Nuit au cœur.
Quel est le livre en lien avec la Normandie que vous auriez aimé écrire ?
Sans doute, le livre sur l’étymologie des noms de villages normands que Brichot, le personnage de La Recherche, n’a pas eu le temps d’écrire ! Sinon, soyons modestes : Un cœur simple de Gustave Flaubert, qui, en peu de pages, dans une langue d’une précision, d’une ironie et d’une émotion rares, parvient à saisir à la fois les rapports de domination sociale et les inflexions intimes les plus vibrantes. Mais je pense aussi à La Vie matérielle de Marguerite Duras, un livre pas comme les autres, disait-elle, qui s’ouvre sur l’évocation de l’hôtel des Roches noires : « Dès que je m’éloigne de Trouville j’ai le sentiment de perdre de la lumière. » Elle y parle des maisons, des femmes et de l’écriture, c’est un livre important.
Quel est le lieu du livre en Normandie (librairie, bibliothèque) où vous vous sentez bien et/ou trouvez vos livres ?
En choisir un seul ? Impossible. Je commence par la librairie Frérot, rue des Croisiers : savant désordre et goût très sûr, anciens et modernes, empilements prometteurs – une librairie de rêve. Mais il faut parler d’écriture avec la Villa La Brugère, un lieu de résidence avec vue sur l’infini de la mer. Et je recommande quand même d’aller faire un tour à l’abbaye d’Ardenne : en matière de bibliothèque, il est difficile de faire plus beau. Il n’y a qu’en Normandie qu’on trouve des lieux pareils.
Propos recueillis par Valérie Schmitt