Franck Achard en résidence dans une cabane en sous-bois
Pouvez-vous nous parler du projet d’écriture que vous êtes venu développer en résidence ?
Mon travail actuel porte sur un roman intitulé « Sœur volée ». J’y dépeins une grande fratrie vivant dans un manoir délabré, sorte de creuset des amitiés, des rivalités et des fantasmes propres à l’enfance. Abel, le narrateur, se distingue de ses onze frères et sœurs en ce qu’il est persuadé, depuis son premier souffle, que sa sœur jumelle lui a été enlevée. C’est cette enquête intime qui l’amène à faire voler en éclat le confort de la cellule familiale, selon lui complice de cette disparition.
S’agissait-il de votre première résidence ?
Non, j’ai déjà eu la chance de participer à plusieurs résidences d’écriture par le passé : au château de Bénouville pour le festival Les Poétiques du Canal, à Saint-Jean-de-Luz avec le théâtre du Rivage, au Havre pour le festival Terres de Paroles. Des expériences diverses, mais toujours très riches.
Pourquoi avoir choisi ce lieu de résidence ?
La Baraque Walden est un lieu très singulier, hors du temps et des contraintes que notre quotidien fait peser sur l’acte créatif. Par son minimalisme, son isolement, sa conception même, elle place l’auteur face à son oeuvre de manière assez radicale. Stéphane Nappez, écrivain et initiateur de ce projet, met tout en œuvre pour que les auteurs y trouvent l’inspiration.
Qu’appréciez-vous le plus dans le fait d’être en résidence ?
Une résidence favorise des rencontres variées (sur le lieu même de la résidence, mais aussi lors des actions de médiations qui sont conduites dans des établissements scolaires ou culturels). Elle amène aussi l’auteur à penser ses choix, ses positionnements, son projet artistique plus largement. C’est un moment d’accélération du processus de professionnalisation.
Comment votre résidence vous a-t-elle aidé dans votre projet d’écriture ?
Elle m’a permis de formuler plus précisément ce projet dans les échanges avec les personnes rencontrées. Il n’est jamais facile de parler d’un travail en cours, de le présenter objectivement. Mais c’est une étape importante dans la conscientisation des atouts et des faiblesses de l’idée de départ. Nous l’abordons instinctivement, ce qui n’est pas toujours la meilleure façon de faire. De plus, disposer de plusieurs semaines durant lesquelles l’écriture prend toute la place (hors des sollicitations quotidiennes), cela crée les conditions d’une immersion totale dans l’œuvre. Il devient possible de vivre avec les personnages imaginés, de les côtoyer de façon beaucoup plus intense que dans tout autre cadre. C’est une chance rare.
Aviez-vous des doutes sur votre projet qui ont pu être résolus pendant cette période ?
Les doutes sont un moteur quotidien pour moi. L’un écarté, un autre prend sa place. J’ai en tout cas constaté que ce récit et son univers emportent l’adhésion des auditeurs ou lecteurs, qui manifestent l’envie d’en connaître la suite. C’est bien l’essentiel pour me pousser à y consacrer mon énergie. Maintenant, je me dois de répondre à leurs attentes du mieux que je peux.
Pourriez-vous décrire une rencontre ou un moment fort de votre résidence ?
Lors d’une lecture publique au bar association La Baraque, à Rouen (créé également par Stéphane Nappez), j’ai pu intégrer les spectateurs présents au processus de création. D’abord en leur proposant les lectures de plusieurs versions de l’incipit de mon roman. Leurs retours m’ont permis d’affiner, de confirmer ou de repenser certains choix d’évolution du texte. Ensuite, j’ai transformé la « lecture publique » (avec l’accord de Stéphane Nappez) en séance « d’écriture publique » : j’ai expérimenté l’écriture en direct de la suite de mon roman. Dans l’élaboration d’un passage dialogué, les personnes présentes dans le public, dont beaucoup avaient une pratique d’écriture à titre professionnel ou amateur, ont pu intervenir, proposer leur vision, interroger chacun des choix que je formulais au fur et à mesure de la rédaction. Un moment précieux pour moi, bienveillant et constructif, que j’espère pouvoir reproduire.
Quelle suite pour votre projet d’écriture ?
S’agissant d’un roman assez conséquent et foisonnant, beaucoup de travail reste à accomplir, tant dans la poursuite du récit que dans le retravail des passages déjà écrits. Il m’appartiendra aussi d’approfondir les pistes que j’ai pu expérimenter ici : la cohérence de l’univers, des personnages et de l’intrigue est un labeur qui demande une extrême précision. J’ai tant de pain sur la planche pour porter ce projet au niveau que j’espère atteindre, qu’il me paraît plus sage d’en reparler… d’ici un an ou deux, si tout va bien.
Propos recueillis par Cindy Mahout
Arpentant les domaines de la poésie, du théâtre, de la nouvelle et du roman, Franck Achard est né à Caen en 1974. Dans chacun des genres qu’il aborde, il est fidèle à la poésie qui irrigue son écriture. Créateur des éditions La Renverse en 2015, il y accueille les textes d’auteurs, confirmés ou émergeants, dont le travail sur le langage lui parait à la fois accessible et exigeant. Comédien de théâtre, il donne régulièrement lecture de ses textes, souvent en compagnie de musiciens, avec l’espoir que la littérature soit objet de partage et d’échanges. Il vit en Bretagne.