40 ans d’édition scientifique aux Presses universitaires de Caen
Les Presses universitaires de Caen fêtent leurs 40 ans en 2024, qu’est-ce qui a changé selon vous dans l’édition des sciences humaines et sociales en 40 ans ?
En 40 ans, le panorama de l’édition en sciences humaines et sociales a considérablement évolué : d’abord parce que l’édition scientifique publique s’est structurée et professionnalisée ; on est passé des publications des années 70, au fonctionnement associatif, et souvent assez artisanal, reposant sur l’enthousiasme de quelques-uns, à la création dans nombre d’universités de véritables structures éditoriales universitaires.
C’est dans ce cadre que le Centre de Publications de l’université de Caen a été transformé en 1984 en Presses universitaires de Caen, maison d’édition et service commun de l’université de Caen Normandie, avec pour missions d’éditer, diffuser et valoriser la recherche scientifique caennaise.
Et bien sûr, avec les progrès technologiques, les supports et les pratiques de lecture se sont diversifiés. Selon les générations, mais aussi selon l’usage qui est fait du texte, on peut lire sur livre, comme sur divers types d’écran. Ce passage sur écran est une réelle opportunité d’amélioration de la diffusion, et l’avènement du numérique est un vrai tournant pour l’édition scientifique. Cela a beaucoup changé les manières de travailler pour le personnel éditorial.
Les manuscrits suivent le même circuit rigoureux : relecture, préparation de copie, vérification systématique de toutes les références, questions aux auteurs… pour garantir la lisibilité et la stabilité du texte.
Mais ce n’est que la partie connue du travail : une fois le texte établi scientifiquement, nous utilisons dorénavant une chaîne d’édition structurée (Métopes), pour transformer les fichiers word en un format normé et standardisé. C’est essentiel pour assurer la pérennité des textes, et pour permettre une diffusion sur différents supports (html, pdf, epub). Le support imprimé demeure bien sûr très présent et fait l’objet d’une attention particulière ; en parallèle, nous assurons une diffusion numérique via des plateformes telles qu’OpenEdition et Cairn.
Cette approche favorise une meilleure diffusion de la recherche et, je l’espère, offre à l’édition scientifique une visibilité accrue, permettant ainsi de toucher un public plus large.
Quels sont les événements et/ou parutions qui vont jalonner cette année d’anniversaire ?
Le 15 novembre, nous organisons une journée d’étude qui sera un moment d’informations et de débats sur le fonctionnement de l’édition scientifique publique, l’ouverture de la science et la diffusion des savoirs vers la communauté universitaire, et vers la société. Elle s’adresse à tous ceux qui sont concernés par la recherche et sa diffusion, des étudiants de master aux chercheurs les plus aguerris, et à tous les acteurs impliqués dans la transformation de l’édition scientifique.
Ce sera un moment d’échanges, de débats et de convivialité, en présence des chercheurs et de nos partenaires.
Nous cherchons également à valoriser ce qui fait partie du patrimoine local, la maquette du plan de Rome, qui se trouve à la Maison de la recherche en sciences humaines (MRSH), et qui est au cœur des recherches du centre de réalité virtuelle, le Cireve.
Pour cela nous proposons une nouvelle édition de La Rome antique, portée par Philippe Fleury et Sophie Madeleine. Cet ouvrage sera à la fois un guide archéologique et un manuel d’histoire, conçu pour intéresser autant les passionnés d’archéologie que les curieux. Grâce à une combinaison de maquettes physiques et virtuelles, il permettra d’explorer la Rome antique avec un niveau de détail jamais atteint auparavant. (Sortie prévue le 5 décembre).
L’actualité, ce sont aussi les thèmes de société actuels, par exemple le discours antiféministe mis en valeur par le travail d’Anne-Sarah Moalic, spécialiste de l’histoire du droit de vote des Françaises et des questions d’égalité femmes-hommes, qui propose l’édition et l’analyse de deux textes historiques, dont une thèse de droit de 1910 et un rapport parlementaire de la Troisième République, pour mettre en lumière la persistance des discours rétrogrades sur le rôle des femmes à travers l’histoire. L’éternel antiféminisme. (Sortie prévue le 25 janvier 2025)
L’actualité, c’est aussi la guerre, la mémoire des guerres, très vivace en Normandie. Nous éditerons deux témoignages, très différents : un journal de guerre écrit par une adolescente mais aussi une réflexion sur l’écriture de l’histoire basée sur le journal d’un prisonnier de guerre.
Nous éditerons également un ouvrage sur la guerre d’Algérie, en lien avec la question de la transmission des mémoires. (Sortie second trimestre 2025)
Enfin, dans le cadre du Millénaire de la ville de Caen, nous serons présents aux Journées de l’Histoire avec notamment une publication portée par Véronique Gazeau, spécialiste du monde anglo-normand, autour de Lanfranc (1010-1089), figure majeure dans l’histoire de la Normandie et de l’Angleterre médiévale. Vita et lettres de Lanfranc. (Sortie prévue le 20 février 2025)
On le voit, les publications sont souvent adossées aux institutions présentes en Normandie, ressources indispensables pour favoriser la réflexion et sa diffusion : la ville de Caen, le Mémorial, le Musée national de l’Éducation (Munae) par exemple.
Quels sont les prochains défis à relever selon vous ?
Le premier point bien sûr, c’est de relever le défi économique de production de livres scientifiques dans un contexte économique très contraint, et de penser une économie de l’édition scientifique publique soutenable.
Ensuite, et c’est en rapport étroit, c’est d’être plus visible auprès du public. Dans un contexte d’autonomie des universités, les chercheurs de l’université de Normandie ont une double mission, de recherche d’intérêt national, mais aussi d’attractivité locale. Il faut donc trouver le ton juste. Nous publions par exemple beaucoup de revues, qui attirent moins les lecteurs ; mais nous avons aussi des ouvrages écrits par des spécialistes, portant sur des thèmes très actuels, qui sans doute pourraient être plus visibles qu’aujourd’hui (en librairie). Il faut créer un lien plus étroit entre le travail des chercheurs sur les problèmes de société et le public (le lectorat).
Nous devons donc travailler notre modèle de diffusion, pour être reconnus, aussi bien à l’échelle normande qu’à l’échelle nationale, voire internationale. Cela demande une adaptation de la politique éditoriale et de diffusion.
Laure Himy-Piéri