Archives des Perluète #03 - Perluète https://perluete.normandielivre.fr/category/perluete-03/ La revue littéraire de Normandie livre & lecture Fri, 15 Oct 2021 08:36:24 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.2.4 https://perluete.fr/archives_00-14/wp-content/uploads/2020/08/cropped-200_2006-1-32x32.png Archives des Perluète #03 - Perluète https://perluete.normandielivre.fr/category/perluete-03/ 32 32 153862814 [L’invité] Fred Duval – « Qu’on reconnaisse le travail des auteurs » https://perluete.normandielivre.fr/linvite-fred-duval-%e2%80%89quon-reconnaisse-le-travail-des-auteurs%e2%80%89/ Thu, 09 Jan 2020 18:00:27 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1481 Épuisé mais heureux, c’est ainsi que s’est présenté Fred Duval pour l’entretien qu’il a accordé à Perluète. Deux états combinés dans une année 2019 extrêmement riche pour l’auteur de BD, entre de nombreuses publications et une reconnaissance encore accrue par le succès de l’adaptation des Nymphéas noirs.

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Épuisé mais heureux, c’est ainsi que s’est présenté Fred Duval pour l’entretien qu’il a accordé à Perluète. Deux états combinés dans une année 2019 extrêmement riche pour l’auteur de BD, entre de nombreuses publications et une reconnaissance encore accrue par le succès de l’adaptation des Nymphéas noirs.
Disert et enthousiaste, il revient sur sa carrière, ses projets et l’état d’une profession en perpétuelle mutation, sur laquelle il veille attentivement.
fred duval
© Chloé Vollmer-Lo
Votre année 2019 va être difficile à résumer. Vous avez publié beaucoup d’ouvrages et certains ont été particulièrement remarqués…

L’année a été très riche. J’ai sorti neuf albums, dont trois seulement sur les deux dernières semaines (en septembre-octobre – NDLR). Il y a eu la poursuite de séries comme Travis ou Carmen McCallum et des nouveautés avec Nevada ou l’adaptation des Nymphéas noirs, qui a bénéficié d’une mise en lumière à laquelle je ne suis pas habitué. En 25 ans de carrière, j’ai vendu 2,6 millions d’albums et je suis connu des amateurs de BD. Mais c’est la première fois que la médiatisation atteint un tel niveau. Je crois que c’est un succès à plusieurs strates : il y a la renommée de l’œuvre originale de Michel Bussi, la réputation de la collection « Aire libre » de Dupuis, le prix Éléphant d’or au festival de Chambéry... Et puis, bien sûr, la qualité du dessin de Didier Cassegrain, qui est à l’origine de tout !

Depuis 1994, vous avez publié un nombre impressionnant d’albums, dans des genres variés et avec une foule d’illustrateurs. D’où vient cette envie de création ?

À ce jour, j’ai effectivement signé 142 albums, c’est un bon rythme. J’ai eu la chance au début de ma carrière d’être incité par Cailleteau et Vatine, les auteurs d’Aquablue – normands eux aussi – à faire un scénario. C’est devenu le western 500 fusils, déjà un scénario tourné vers le genre. Dans la foulée, la série Carmen McCallum a tout de suite plu à un public fan de série B. À l’époque, j’hésitais entre le journalisme et la BD. On peut dire que ça m’a décidé ! J’ai eu également la chance de pouvoir généralement travailler avec des dessinateurs qui avaient la même vision que moi sur les histoires, c’est décisif dans le processus de création.

Même quand ils se situent dans un univers de fantasy, vos scénarios tissent un parallèle avec le monde actuel.

On écrit sur le monde dans lequel on vit. Dès les premiers Travis, j’ai tenu à aborder la question de l’écologie. C’est devenu le sujet principal de la série Renaissance, dont le second volet vient de sortir. Ce que j’aime, c’est me documenter sur un sujet au moment de le traiter, ça me vient de mes études d’histoire. Dans mes BD, j’essaie de ménager autant l’action que la réflexion, de mêler l’imaginaire à des préoccupations plus réalistes et universelles.

"On écrit sur le monde dans lequel on vit"

Le ministère de la Culture a présenté 2020 comme « Année nationale de la BD ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?

L’initiative est bonne, c’est certain. J’espère que ça ira au-delà de quelques expositions... Je voudrais que 2020 soit l’année des auteurs de BD ! L’étude menée en 2016 pour les États généraux de la bande dessinée a montré que sur 2 000 auteurs, la moitié vivait en dessous du Smic, et que la moitié des femmes dans ce milieu vivent aussi en dessous du seuil de pauvreté. C’est une photographie sociale qui donne une idée d’actions basiques à mettre en place pour protéger les auteurs. J’aimerais que cette année de la BD serve surtout à montrer l’ampleur du travail fourni par les auteurs pour aboutir à un album. De mon côté, j’ai été très aidé par mes pairs à mes débuts. Je n’oublie pas cela et je prône la solidarité au sein de la profession.

Propos recueillis par Laurent Cuillier

Bio express

Né à Rouen, le scénariste de bandes dessinées Fred Duval a signé pas moins de 142 albums ces 25 dernières années. Avec Didier Cassegrain, il a sorti, en janvier 2019, l’adaptation du roman policier Nymphéas noirs de Michel Bussi. Salué par la critique, l’album a reçu en octobre l’Éléphant d’or du meilleur album au 43e Festival international de la bande dessinée de Chambéry.

Découvrez une interview inédite de Fred Duval

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[Lieux] Création littéraire : étudiants écrivains https://perluete.normandielivre.fr/lieux-creation-litteraire-etudiants-ecrivains/ Thu, 09 Jan 2020 17:15:55 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1477 Le Havre a été la première université, en cohabilitation avec l’école d’art, à mettre en place un master de création littéraire en France (d’autres masters ont vu le jour depuis)

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Alors que l’enseignement de la création littéraire est adopté depuis longtemps par de nombreux pays – on pense notamment aux États-Unis, où il existe depuis plus de cent ans –, en France, le cliché de l’auteur génial et solitaire a la vie dure... Le Havre a été la première université, en cohabilitation avec l’école d’art, à mettre en place un master de création littéraire en France (d’autres masters ont vu le jour depuis). Fondée en 2012, la formation se déroule en deux ans entre l’école d’art et l’université du Havre. Elle offre deux options, « Littérature française et écritures » et « Création littéraire ». L’accent est mis sur la pratique ainsi que sur la rencontre de professionnels du livre. Les enseignants eux-mêmes sont écrivains, éditeurs, libraires, critiques littéraires.

master livre
© Dan Ramaen

Loin de prôner l’uniformisation de la production littéraire ou d’enseigner les recettes du best-seller, l’enseignement de la création littéraire a pour vocation de faire entendre de nouvelles voix et de faire émerger de jeunes talents. Ainsi, de nombreux étudiants diplômés ont été publiés par la suite et même présents dans les rentrées littéraires, tels Lucie Desaubliaux, Olivier El Khoury, Agnès Maupré, Adeline Miermont-Giustinati, Aylin Manço, Gabrielle Schaff, Thi Thu.

Valérie Schmitt

 

Informations détaillées sur le master sur crealit.fr

Interview vidéo de Laure Limongi

Auteure, éditrice, elle dirige l’option « Création littéraire » du master depuis 2014.

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[Lieux] Meilleur PROFiILE https://perluete.normandielivre.fr/lieux-meilleur-profiile/ Thu, 09 Jan 2020 17:02:17 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1472 Créé en 2003, à Caen, le centre de formation des libraires, PROFiILE, a déménagé et inauguré ses nouveaux locaux, plus spacieux, en septembre 2019.

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Créé en 2003, à Caen, le centre de formation des libraires, PROFiILE, a déménagé et inauguré ses nouveaux locaux, plus spacieux, en septembre 2019. L’emménagement s’est fait dans un immeuble qui pourra désormais accueillir jusqu’à 60 stagiaires. Il se situe à proximité de la chambre des métiers, dans un quartier regroupant les centres de formation et qui abritait précédemment des formations aux métiers de bouche. Il n’en fallait pas plus à Jean-François Grunenwald, directeur de PROFiILE, pour développer une formation avec une option librairie-café ! La cuisine est déjà équipée et un bel espace, donnant sur la rue et accessible par une entrée indépendante, sera transformé en librairie-café. Ce lieu permettra aux étudiants de pratiquer la vente de livres et pourrait également accueillir des animations et un comptoir des éditeurs régionaux ou nationaux.

Profiile
© Googlemaps

Cette offre de formation viendra compléter l’offre déjà existante du CAP « librairie, papeterie, presse » et du brevet professionnel de libraire en contrat d’apprentissage. Le centre travaille également ardemment à l’ouverture d’une formation de « manager d’unité marchande papeterie ou librairie » pour la rentrée 2020. 

Sophie Fauché

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[Lieux] Ça déménage en librairies https://perluete.normandielivre.fr/lieux-ca-demenage-en-librairies/ Thu, 09 Jan 2020 16:38:33 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1467 2019 fut une année riche pour la librairie en Normandie, avec pas moins de cinq reprises, trois ouvertures et deux fermetures. 2020 s’annonce tout aussi mouvementée, avec trois reprises connues à ce jour et deux projets de création bien avancés.

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2019 fut une année riche pour la librairie en Normandie, avec pas moins de cinq reprises, trois ouvertures et deux fermetures. 2020 s’annonce tout aussi mouvementée, avec trois reprises connues à ce jour et deux projets de création bien avancés.

librairie Place 26
© Sophie Fauché

Cette année, Le Lapin blanc à Mesnil-Esnard, dans la banlieue de Rouen, et Place 26 à Douvres-la-Délivrande ont ouvert quasi simultanément au début de l’été. Ces deux librairies généralistes, créées par des personnes ne venant pas du monde du livre, ont été accompagnées, entre autres, par Normandie Livre & Lecture et soutenues par le FADEL. À Lisieux, Catherine Marin-Pestel, créatrice des Grands Chemins, a cédé la place, à l’automne, à Anne-Sophie Baert, avocate dans l’Aisne jusqu’en juin 2019. Des aménagements ont été faits, l’extension du rayon jeunesse et la refonte du site Internet sont dans les tuyaux. Le 4 novembre, Florence Henri a repris Demeyere, librairie historique d’Argentan. Après quelques agencements et la création d’un beau rayon jeunesse dans les anciens bureaux, des travaux plus importants sont prévus.

La reprise de l’Encre bleue à Granville sera effective le 20 janvier. Bruno Séron accompagnera quelques semaines Stéphane et Aurélie Guillard. Pas de grands bouleversements cette année, le temps que les heureux repreneurs prennent leurs marques. Autre changement, le déménagement de la librairie Eureka Street, à Caen. Non, le local n’est pas plus grand mais à côté du théâtre, plus visible, et de nombreux passants ont l’impression de découvrir une nouvelle librairie. En 2020, ce sera le tour d’Une histoire de papier à Neufchâtel-en-Bray, qui s’associe avec le magasin de jouets Sajou et déménage.

Sophie Fauché

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[Dossier] Domaines étrangers https://perluete.normandielivre.fr/dossier-domaines-etrangers/ Thu, 09 Jan 2020 14:59:29 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1443 Dans un contexte de baisse des ventes de livres, les cessions de droits et traductions ont augmenté de 2 % en 2018 et pèsent environ 20 % de l’édition française. Peut-on dire pour autant que les éditeurs se tournent davantage vers l’étranger ? En Normandie, bon vivier de traducteurs et place forte de la littérature nordique, nombreux sont ceux qui s’ouvrent au monde.

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Bandeau illustration Emmanuelle Halgand
© Emmanuelle Halgand
Dans un contexte de baisse des ventes de livres, les cessions de droits et traductions ont augmenté de 2 % en 2018 et pèsent environ 20 % de l’édition française (1). Peut-on dire pour autant que les éditeurs se tournent davantage vers l’étranger ?
En Normandie, bon vivier de traducteurs et place forte de la littérature nordique, nombreux sont ceux qui s’ouvrent au monde. Avant tout par passion et par goût de la rencontre.
Laurent Cauville, avec Nathalie Delanoue et Christelle Tophin / aprim

Et que le vaste monde poursuive sa course folle... dans les librairies. Il semblerait que les éditeurs se soient remis à traduire : 13 932 titres d’auteurs étrangers en 2018, +12,8 % par rapport à 2017. Choix purement dicté par le marché ? Emmanuelle Viala-Moysan (éditions Le Soupirail, au Mesnil-Mauger) objecte : « Il n’y a pas d’attrait économique à se tourner vers la littérature étrangère, notamment à cause des coûts liés : achats de droits, traduction, temps administratif, commercial et éditorial induit... Faire venir en France un auteur étranger, c’est un budget. Et sans promo, pas de vente, surtout quand on a une certaine exigence éditoriale. »

(1) Source : Le secteur du livre : chiffres-clés 2017-2018.

Pour la « biblio-diversité »

Auður Ava Ólafsdóttir,
Auður Ava Ólafsdóttir, prix Médicis Étranger 2019. Une découverte de Zulma traduite par le Caennais Éric Boury. © Zulma

C’est d’abord la passion des textes qui guide l’envie de porter un auteur, un livre, une sonorité. « Nous ne surfons pas sur des attentes, et quand je décide de traduire du persan ou du tamoul, a priori ce n’est pas parce que je sens une demande, affirme Laure Leroy, directrice des éditions Zulma, dont le siège social est à Veules-les-Roses (76). Publier des textes étrangers, c’est d’abord vouloir faire découvrir la biblio-diversité, tous ces pans de la littérature qu’on ignore. » Zulma aime défricher : « Par exemple, en publiant Rosa Candida de Auður Ava Ólafsdóttir en 2006, nous avons grandement contribué à l’essor des textes islandais auprès du public. » Avec Miss Islande, de la même auteure, traduit par le Caennais Éric Boury, Zulma vient de décrocher le Médicis Étranger.

Emmener le public vers d’autres univers certes, mais aussi se faire plaisir. « Pas de règle en matière de choix, nous fonctionnons au coup de foudre », livre Nicolas Pien, des éditions Passage(s), dont le domaine étranger occupe près de 40 % du catalogue. « Nous découvrons les auteurs étrangers lors de salons comme celui de Paris, sur des stands liés à des pays particuliers. »

Porter une parole

Sans parler de militantisme, se tourner vers l’étranger peut avoir aussi valeur d’engagement, comme pour les éditions Dodo Vole, où la volonté de porter la parole d’auteurs malgaches et de l’océan Indien est clairement affirmée. « Le marché n’a rien à voir dans le choix de notre ligne éditoriale. C’est la vie qui nous a amenés à cette région du monde, se rappelle Sophie Bazin, co-fondatrice de la maison en 2006 à la Réunion. Au départ, l’envie de valoriser des œuvres de peinture à travers des livres pour enfants, puis, à Madagascar, le besoin de diffuser en langue malgache et en français. »

Depuis 2011, 30 titres pour enfants ont ainsi garni la collection Dodobonimenteur de Dodo Vole, « grâce à l’appui de partenaires comme la Région, dans le cadre de la coopération décentralisée ». De retour à Caen, Sophie Bazin persiste dans le même sillon. La maison porte deux projets pour 2020 : une traduction française d’un texte d’Emilson D. Andriamalala, « monument de la littérature malgache » et un recueil de Soamiely Andriamananjara.

L’étranger pour Dodo Vole, c’est aussi l’expérience de la rencontre. Preuve avec sa belle revue Lettres de Lémurie, où se font écho des textes de l’océan Indien en français, créole, malgache... Le numéro un s’est écoulé à 700 exemplaires (1000 imprimés) et le trois sortira en mai. « Chaque auteur s’implique dans ce projet, c’est une belle aventure humaine. »  Seule en France à publier des textes malgaches, Dodo Vole s’appuie sur un réseau de libraires fidélisés au fil du temps et internalise ses traductions, assurées par l’auteur malgache Johary Ravaloson, co-fondateur de la maison.

Lettres de Lémurie
Lettres de Lémurie, belle revue lancée par Dodo Vole où voisinent différents auteurs de l’océan Indien. © Dodo vole

Vendre à l’étranger

Estimées autour de 5 % du chiffre d’affaires des éditeurs, les cessions de droits à l’étranger sont aussi « une source de revenus complémentaires non négligeable », confirme le Syndicat national de l’édition. Toutes activités confondues (poche, traductions, club du livre, adaptations), elles pesaient 145,4 M€ en 2018 (environ 8 000 titres). Les titres jeunesse ont le leadership (29 % du total des cessions), juste devant la BD (28,8 %) et la fiction (14,7 %).

Premier partenaire de la France pour cette activité, la Chine, avec 16 % des cessions françaises (plus de 2 000 titres en 2018). La dernière Foire du livre de jeunesse de Shanghai l’a confirmé : le stand français du Bief (Bureau international de l’édition française) n’a pas désempli.

Agent spécial

« L’Asie est un marché hyperactif, confirme Pierre Lenganey, repreneur à Alençon des éditions Møtus, spécialisées jeunesse. La production française y est recherchée. Dans des foires internationales du livre comme Bologne ou Francfort, les éditeurs asiatiques viennent faire leur marché. » Møtus veut profiter de la vague : « Les opportunités sont là, mais il faut se professionnaliser. Nous travaillons donc depuis cette année avec un agent spécialisé et des objectifs à court terme : 5 titres minimum vendus par an à l’étranger. »

Pour y parvenir, l’éditeur va étoffer son catalogue, pour passer de 5 titres publiés en 2019 à une vingtaine en 2022. « L’Asie est attractive, mais nous ne regardons pas seulement vers ce continent. Il faut savoir vendre ses auteurs, quel que soit le pays. Les revenus de la cession de droits peuvent aider à maintenir ou développer son activité. »

Avec son agent, Daniela Bonerba, Pierre Lenganey a ainsi vendu cette année les droits en Corée du Sud pour Les Livres, de Christos et Lilli Chemin ; et au Portugal pour La Piquante douceur de la joue de papa, d’Alice Brière-Haquet et Sylvie Serprix.

Pierre Lenganey
Pierre Lenganey, des éditions Møtus à Alençon, se tourne vers l’Asie. © aprim

 

« Les aides sont essentielles »

© N. Pien

« Le domaine étranger représente un bon tiers de nos publications. Nos choix sont guidés par nos goûts, et nous essayons d’aller là où les autres vont peu, avec des achats de droits abordables : plutôt des fictions courtes, des nouvelles… Nos découvertes étrangères se font notamment au Salon du livre de Paris où des pays comme l’Estonie et la Pologne proposent des auteurs que nous avons envie de présenter au public français. Les traducteurs nous conseillent aussi des œuvres, ou tout simplement nos réseaux d’amis, partout dans le monde. Pour se lancer, les aides sont essentielles : 60 à 70 % d’aide, c’est bien ; l’idéal étant une prise en charge à 90 % par le pays d’origine de l’œuvre, comme en Estonie et en Islande, qui ont la volonté de promouvoir leur littérature. »

Nicolas Pien - éditions Passage(s)/Caen

Une aide à la prospection

Normandie Livre & Lecture accompagne les éditeurs normands sur ces marchés extérieurs, via une aide à la prospection et à la mise en relation avec les éditeurs internationaux, comme lors de la Foire du livre de Francfort, rendez-vous international majeur pour les professionnels. En 2019, quatre éditeurs normands y ont été accompagnés : Le Soupirail, Rabsel, La Marmite à mots, MJW Fédition.

Le traducteur, un auteur précaire

© Asawin Klabma-iStock

De l’avis de tous, le personnage-clé pour l’éditeur, celui qui ouvre les portes, reste le traducteur. « Il nous propose des œuvres en s’adaptant à notre ligne éditoriale, résume Nicolas Pien. C’est un dénicheur de talents doublé d’un véritable auteur, qui doit s’approprier l’œuvre sans trahir l’original ».

Les éditeurs louent son rôle de pierre angulaire. « Une ressource essentielle en qui j’ai une confiance totale », dit Emmanuelle Viala- Moysan, qui elle aussi voit en lui « un auteur dans sa capacité à restituer la pulsation d’origine. » « Un complice évoque Laure Leroy : beaucoup de textes nous arrivent grâce à lui, au fil d’une relation longue, par affinités. »

Une journée spéciale à Caen

Normandie Livre & Lecture, l’ATLF (Association des traducteurs littéraires de France) et l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) organisent le 6 février 2020 à l’IMEC une journée sur le métier de traducteur.

Parmi les sujets abordés : statut, conditions de travail, formation, à qui s’adresse la traduction, comment trouver le rythme d’un texte...

En savoir plus sur cette journée

Des intérêts à défendre

Cette reconnaissance de la profession ne doit pourtant pas masquer les difficultés du métier. « Le monde de la traduction est marqué par l’arrivée de jeunes universitaires, ce qui a pour effet mécanique de faire baisser les tarifs », commente Christian Cler, vice-président de l’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF, 1 100 adhérents parmi les 5 à 6 000 traducteurs estimés en France).

L’association se démène, entre autres pour établir avec les éditeurs un modus vivendi qui préserve les intérêts des traducteurs : « nous défendons l’idée d’une vraie filière de formation sur ce métier, et nous sommes porteurs depuis des années d’un code des usages signé avec le Syndicat national de l’édition, dans le but d’améliorer la situation matérielle, morale et juridique des traducteurs. »

Rémunération en baisse

La question de la rémunération des traducteurs est centrale. Depuis le passage à l’euro, la précarisation de la profession se confirme. « La rémunération au feuillet est déjà problématique. Historiquement, elle se cale sur un tarif pour un feuillet de 25 lignes de 60 signes (actuellement autour de 21 €), ce qui normalement représente entre 1 200 et 1 400 signes espaces comprises, détaille Christian Cler. Mais avec l’usage de logiciels comme Word, beaucoup d’éditeurs rémunèrent à ce tarif... pour 1 500 signes, soit une perte de 15 à 30 %.»

Plus impactant encore, ce tarif n’a pas évolué depuis le début des années 2000. « En prenant en compte l’inflation depuis le passage à l’euro, on estime à 40 % la baisse du niveau de rémunération des traducteurs en France. » La question des droits d’auteur est également centrale dans cette croisade pour la profession, « notamment les droits proportionnels aux ventes, dont le très faible niveau serait à réévaluer ». Ce serait là un signe de reconnaissance du travail d’auteur qu’on peut attribuer au traducteur.

Un choix plus large pour la formation

« L’édition française traduit de plus en plus et le paysage des formations s’étoffe », souligne Christian Cler, à l’ATLF, dont le site Web présente un grand nombre de diplômes et structures. D’abord dans les universités, avec des master 1 et 2 de plus en plus nombreux (Strasbourg, Angers, Lyon, Paris, Aix-en-Provence, Lausanne…), mais aussi avec des formations post-universitaires et de la formation continue (AFDAS, École de traduction littéraire).

Liste détaillée sur atlf.org / rubrique "Profession traducteur"

« Certains textes vous résistent »

Jean-Christophe Salaün
Jean-Christophe Salaün © Éditions Passage(s)

Plongé dans le grand bain en 2012, avec La Femme à 1000° d’Hallgrímur Helgason (Presses de la Cité), Jean-Christophe Salaün, 33 ans est avec Éric Boury l’autre traducteur de l’islandais qui compte en France.

Parmi la trentaine de traducteurs (dont 11 pour l’anglais) répertoriés à ce jour en Normandie, se détache un joli réservoir de huit spécialistes nordiques (1). L’expertise de l’université de Caen en la matière et le festival des Boréales y sont pour quelque chose.

Depuis peu dans le métier, le Caennais Jean-Christophe Salaün a déjà apposé son nom sur 17 romans islandais. « J’ai flashé sur cette langue à 16 ans, en écoutant un groupe de rock. À Reykjavik, j’ai passé un master en traductologie, puis tout s’est enchaîné. La femme à 1000°, ma première traduction (2), a été une belle entrée en matière, j’ai adoré ce travail. »

Depuis, les périodes de solitude, essentielles pour plonger dans le texte, lui sont devenues habituelles. « Certains textes vous résistent, nécessitent de savoir lire entre les lignes. Le plus important, c’est d’aimer le texte. D’où l’importance de la première lecture, qui sert à se faire une opinion et aussi à renseigner l’éditeur. Ce rôle de guide est très valorisant, tout comme le rapport avec l’auteur, fait de confiance. J’aime connaître l’auteur, par contre je prends toujours mes distances avec lui pendant la période de traduction. »

 

(1) Islandais : Éric Boury et Jean-Christophe Salaün ; norvégien : Éric Eydoux, Alex Fouillet ; danois : Jean Renaud, Alex Fouillet ; suédois : Agnéta Ségol et Annelie Jarl-Ireman.

(2) Prix Pierre-François-Caillé du Syndicat national des traducteurs professionnels, en 2014 pour La Femme à 1000°.

« Des auteurs russes régulièrement retraduits »

« La littérature russe, à travers les périodes assez différentes qu’elle offre depuis le XIXe siècle, me semble plutôt bien représentée en France : classique (Gogol, Dostoïevski, Tourgueniev, etc.), « âge d’argent » (début XXe), littérature soviétique des années 1920, période de l’émigration, puis du dégel à partir des années 1950... Tout cela constitue un ensemble riche d’auteurs régulièrement retraduits. Depuis décembre 2017, sur les 137 traductions du russe réalisées en France, on compte 42 classiques et 32 recueils de poésie.

Mon rôle de traducteur commence souvent par une proposition à l’éditeur. Ainsi, sur les 15 traductions que j’ai réalisées depuis 1976, seulement trois m’ont été commandées par un éditeur, les autres c’est moi qui les ai proposées, en fonction de mes goûts personnels et tout en tenant compte du profil de l’éditeur et de sa ligne éditoriale. »

Michel Niqueux - traducteur du russe (Bayeux)

L’effet Bologne

Avec « Voyage professionnel à la Foire de Bologne », Normandie Livre & Lecture et la Charte des auteurs et des illustrateurs emmènent 12 jeunes auteurs-illustrateurs, dont un Normand, au premier salon professionnel de l’édition jeunesse, pour mieux se projeter à l’international. Auteurs et illustrateurs sélectionnés y rencontrent des éditeurs et directeurs artistiques internationaux.

Au printemps dernier, l’illustratrice Emmanuelle Halgand était du voyage. « Ce dispositif est une ouverture incroyable en termes de réseau et un sacré coup de pub. Mon objectif était de rencontrer des éditeurs pour des parutions originales ou des traductions. J’ai été super bien accompagnée sur place et j’ai pu présenter mon travail. Résultat : j’ai signé avec un agent qui va me représenter en Chine, où je vais toucher un autre public, avec des œuvres différentes. J’ai rencontré Flammarion, avec qui je signe 4 albums en 2020 avec l’auteure Jo Witek. J’ai eu aussi des contacts avec la Belgique. »

Repères

  • L’anglais Langue la plus traduite vers le français (64 % des titres), devant le japonais (12 %) et l’allemand (6 %).
  • 13 932 Le nombre de titres étrangers publiés en France en 2018. La part des traductions atteint 20 % aujourd’hui, contre 14 % en 2007.
  • 72 % C’est le poids des secteurs jeunesse + bande dessinée + fiction parmi les titres de l’édition française cédés à l’étranger.
  • + 1,6 % La hausse ,des cessions de droits à l’étranger entre 2017 et 2018.

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[Patrimoine] L’insondable Barbey d’Aurevilly https://perluete.normandielivre.fr/patrimoine-linsondable-barbey-daurevilly/ Thu, 09 Jan 2020 14:18:43 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1427 Sa réputation précéda souvent son œuvre. Le personnage, dandy corseté et fardé, fut volontiers dessiné par les caricaturistes de l’époque et brocardé pour ses opinions, jugées tour à tour démodées ou excentriques.

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Sa réputation précéda souvent son œuvre. Le personnage, dandy corseté et fardé, fut volontiers dessiné par les caricaturistes de l’époque et brocardé pour ses opinions, jugées tour à tour démodées ou excentriques.
Dossier rédigé par Cindy Mahout et Agnès Babois
© Gravure sur bois par Pierre-Eugène Vibert

Jules Amédée Barbey d’Aurevilly est né le 2 novembre 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte dans la Manche. Il grandit dans une maison familiale ayant appartenu à son grand-père maternel à laquelle il restera très attaché et qui abrite depuis 1989 le musée Barbey d’Aurevilly.

Au rez-de-chaussée, le visiteur explore l’univers de l’écrivain grâce à de riches collections de manuscrits autographes, ornés de dessins et d’annotations de l’auteur (Une histoire sans nom, Une vieille maîtresse...), de très belles éditions originales (L’Ensorcelée, Les Diaboliques...), de peintures et photographies. On découvre alors un personnage aussi intrigant par sa vie que par son œuvre.

D’une vie de dandy menée à grands frais à Paris dans les années 1830 et en rupture avec les siens pendant vingt ans, Barbey d’Aurevilly opérera dans les décennies suivantes une conversion intellectuelle, revenant au catholicisme dur et au royalisme le plus intransigeant, que lui avait inculqués sa famille.

Buste Barbey d'Aurevilly
© Agnès Babois

Les contradictions d’Aurevilly

En 1851 paraissent Une vieille maîtresse et les Prophètes du passé, œuvres très contrastées qui font scandale et étonnent la critique : on comprend mal que le même écrivain livre en même temps un pamphlet catholique et monarchiste et un roman de mœurs aux pages sensuelles et passionnées.

On pointe ici du doigt les contradictions inhérentes au personnage d’Aurevilly : « Libertin, satanique, absolutiste, ultramontain, iconoclaste, voluptueux, ascétique, byronien, maistrien…, d’Aurevilly fut bien tout cela » (Arnould de Liedekerke).

Il mène de front une carrière de critique littéraire, particulièrement acerbe envers des grands noms de son époque (Hugo, Flaubert, Zola...) et prend des positions politiques et moralistes qui le font exclure de nombreuses revues.

En 1856, l’écrivain se réconcilie avec sa famille, ses séjours dans le Cotentin sont de plus en plus fréquents, notamment à Valognes (« la ville de ses premiers songes et de ses deniers rêves ») entre 1872 et 1887. C’est là qu’il achèvera Les Diaboliques (1874), dans lequel l’insolite et la transgression plongent le lecteur dans un univers ambigu, et qui a valu à son auteur d’être accusé d’ « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Il obtiendra un non-lieu, mais le livre sera retiré de la vente.

L’étage de la maison a conservé ses cheminées, son pavage et ses lambris, permettant de reconstituer l’atmosphère de l’époque. De nombreux objets personnels sont exposés ainsi que l’impressionnante correspondance de l’écrivain avec de grandes figures de son temps.

Une carte nous permet de découvrir les lieux qui ont inspiré ses œuvres. Pas d’écrivain plus normand, il incarne l’âme même de cette région à laquelle il resta fidèle. Ses œuvres évoquent ses paysages, ses coutumes, son histoire et nous entraînent du nord au sud de la Manche.

1887 marque l’année de son dernier séjour à Valognes. Barbey d’Aurevilly décède le 23 avril 1889 à Paris, ses restes sont transférés à Saint-Sauveur-le-Vicomte en 1926.

Au sortir du musée, on repense à ces mots de Remy de Gourmont : « Il est probable que Barbey d’Aurevilly excitera longtemps la curiosité, qu’il restera longtemps l’un de ces classiques souterrains qui sont la véritable vie de la littérature française. »

Cindy Mahout

Les Diaboliques

Parmi les œuvres de Barbey d’Aurevilly, il en est une qui illustre son écriture sombre et énigmatique – Les Diaboliques. Le recueil de six nouvelles, commencé en 1850, ne sera achevé et publié
en intégralité qu’en 1873.

Dans ses nouvelles, les femmes sont au centre du récit, elles ne s’expriment pas, nous les devinons, mystérieuses, mises en scène au fil des relations amoureuses. Elles sont le jeu des situations d’adultère, de meurtre ou de vengeance. Les chutes sont brutales, presque toujours inexpliquées, laissant le lecteur sans réponse. Les histoires de Barbey nous entraînent dans des « Ricochets de conversation », titre auquel il avait pensé à l’origine pour son recueil. Elles nous plongent dans une atmosphère de confidences troublantes et immorales. Elles nous révèlent aussi l’emprise de la religion chez Barbey, sa conception du mal et sa vision des femmes.

Le Bonheur dans le crime est l’une des plus célèbres des six nouvelles : une jeune femme, Mlle Hauteclaire Stassin, ravissante et experte en escrime, tombe amoureuse du comte Serlon de Savigny. Ils préparent un stratagème diabolique pour se débarrasser de l’ex-épouse du comte. Après cela, le couple vit heureux, sans la moindre culpabilité ; il devient même un modèle d’amour conjugal.

 

Agnès Babois

Le bonheur dans le crime (Les diaboliques)
Le Bonheur dans le crime (Les Diaboliques) © Agnès Babois 
Valognes, Bibliothèque municipale, A 1525. Paris, La Connaissance, 1920. Tirage unique à 125 exemplaires, exemplaire n° 113. 66 p., 29 cm, 12 eaux-fortes en couleurs d’Armand Rassenfosse.

Achevé d’imprimer par Pierre Dykmans, maître-imprimeur à Bruxelles pour la maison d’édition à l’enseigne La Connaissance, sise à Paris, 9, galerie de la Madeleine, le 15 novembre 1920.

La bibliothèque de Valognes

Fondée en 1719 par l’abbé Julien de Laillier, curé de Valognes et supérieur du séminaire, la bibliothèque de Valognes a d’abord été installée au séminaire de la ville. Enrichie à la Révolution des fonds confisqués des bibliothèques des couvents des Cordeliers, des Capucins, du séminaire de Valognes et des Augustins de Barfleur, elle a occupé pendant quelques années l’ancienne chapelle du séminaire avant d’être transférée dans les locaux actuels en 1853. Ce bâtiment a été construit vers 1830. Il était prévu d’y faire une salle des fêtes. Mais cette salle était sous-employée. Elle fut donc utilisée pour accueillir la bibliothèque riche de plus de 20 000 ouvrages, dont 200 incunables. La bibliothèque conserve aussi un fonds d’imprimés d’essais, de romans de Jules Barbey d’Aurevilly mais aussi colloques, études et livres sur l’auteur. Constitué au gré des dons et des achats de la ville, ce fonds particulier comprend aujourd’hui une trentaine d’éditions. 

Agnès Babois

La bibliothèque de Valognes
© Agnès Babois

Musée Barbey d’Aurevilly

Ce musée municipal fait partie du réseau des « Musées de France » et a reçu en 2011 le label « Maison des illustres ».

Musée Barbey d’Aurevilly
© Agnès Babois

64, rue Bottin-Desylles - 50390 Saint-Sauveur-le-Vicomte

02 33 41 65 18

Jours et horaires d’ouverture : museebarbey.wixsite.com/museebarbey

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[Chronique] Circulus de Marie Rouzin https://perluete.normandielivre.fr/chronique-circulus-de-marie-rouzin/ Thu, 09 Jan 2020 13:56:37 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1422 Lauréate du Prix littéraire de la Ville de Caen 2019, Marie Rouzin signe un premier roman très prometteur, un conte-rêve, un récit dont l’atmosphère fait penser
à certains livres de Cormac McCarthy.

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Le cirque de la vie
Lauréate du Prix littéraire de la Ville de Caen 2019, Marie Rouzin signe un premier roman très prometteur, un conte-rêve, un récit dont l’atmosphère fait penser à certains livres de Cormac McCarthy.

Mots choisis

"Moi, à cette époque, j’étais sans but et sans vigueur, j’errais dans cette ville comme dans des limbes... J’aurais pu m’accrocher à n’importe quoi tant j’étais fatiguée, lasse, sans idée. Je l’ai suivie cette femme, oui, avec un attachement soudain et inexplicable, j’aurais voulu être sa colère et sa force, ou être le tissu qui enveloppait les enfants et les serrait sur sa poitrine, j’aurais voulu être la robe colorée qui enveloppait son corps des épaules jusqu’aux pieds, et sentir ce cœur de géante battre, oui, j’aurais voulu être ce cœur pour battre un peu, un peu plus. "

Circulus
© Serge Safran Éditeur

C’est un roman où, dès le début, une vieille femme est morte, une vieille femme échappée de la maison de retraite pour trouver la porte des Enfers et y rejoindre son mari mort..., où une autre vieille femme aide une jeune femme, Andronica, à accoucher debout dans une roulotte et soutenue par un long tissu rouge... Ces quelques images vous donnent la tonalité du récit-parabole où vous serez plongés et où vous suivrez Andronica, « comme dans un voyage, comme dans un pays lointain, comme si la ville n’existait pas ».

Vous suivrez ce parcours initiatique aux abords d’une grande ville, avec trois femmes qui sont aux côtés d’Andronica, « une pour chanter, une pour parler, une pour le silence ». Avec trois hommes aussi qui leur apportent, à la manière des trois Rois mages, chaleur et nourriture. Vous les suivrez pour aller à la recherche du père des jumeaux, le roman étant aussi un hymne à la maternité, mais une maternité guerrière, combattante, et une charge contre le viol. Peu à peu, au fil des pages, le roman s’ancre dans une réalité très contemporaine et nous fait entendre le bruit de la peur, de la violence, de la guerre, mais toujours avec un souffle poétique. Marie Rouzin évoque les êtres venus de l’autre côté des mers, des Tziganes, des sans-papiers, les expulsions et les centres de rétention. Un monde de souffrances, d’humiliations, de revendications et de colères, mais aussi un monde de fraternité et de solidarité.

Lors de ce voyage, le théâtre apparaît très vite dans le récit, de manière symbolique, en opposition à la violence et aux malheurs. On pense au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Un théâtre de rue avec percussions, tambours, jongleurs et une marionnette géante. Une manifestation comme une parade de carnaval « d’une troupe débridée et bruyante lâchée sur une piste circulaire, dans le grand cirque de la ville ». Car le cercle est partout dans le roman. Et le voyage se terminera là où il a commencé.

L’originalité du roman tient aussi au parti pris de l’auteure de faire mener le récit, dès la première page, par une jeune femme silencieuse, un témoin qui va passer du silence à la parole, renaître par la grâce des rencontres. Cela est sans doute aussi la métaphore de la naissance de l’auteure à l’écriture.

Circulus est un roman à l’écriture simple, fluide et poétique. Un livre touchant, plein de bruit, de fureur et d’humanité, qui nous donne à voir.

 

Claudette Caux

 

Circulus - Marie Rouzin, Serge Safran éditeur, 2018

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[Chronique] Lettres de Fernand Léger à André et Charlotte Mare (1906-1932) https://perluete.normandielivre.fr/chronique-lettres-de-fernand-leger-a-andre-et-charlotte-mare-1906-1932/ Thu, 09 Jan 2020 13:44:26 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1415 Tristan Rondeau, auteur et chercheur diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales, publie la correspondance inédite de Fernand Léger (1881-1955) avec ses amis d’enfance, André (1885-1932) et Charlotte Mare.

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Peinture épistolaire
Tristan Rondeau, auteur et chercheur diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales, publie la correspondance inédite de Fernand Léger (1881-1955) avec ses amis d’enfance, André (1885-1932) et Charlotte Mare.
Lettre de Fernand Léger à André et Charlotte Mare
Lettre d'André Mare à ses parents © Édition BVR

Mots choisis

"Il y a longtemps que cela me tente de te l’avouer, comme à mon seul ami qui soit susceptible de s’y intéresser et de la comprendre, mais je craignais toujours un peu ce terrible sourire que je connais ; en ce moment je pense te trouver pas trop sceptique, alors, allons-y vidons-nous… Tu vois que j’ai mon roman aussi qui dure depuis 3 ans. Cela va peut-être te sembler ingénu et naïf, tu verras que non… Ne te montre pas flatté de la confidence, la vieille sympathie qui nous unit méritait cela. Ne crois pas que mon mariage apportera un relâchement dans notre amitié comme le fait se produit souvent. "

Le peintre et le décorateur, tous deux originaires d’Argentan, partagent dès l’adolescence le même goût pour le dessin. La petite ville de l’Orne restera, tout au long de leur vie, un port d’attache familiale et un lieu de retrouvailles. Au fil des courriers, leur amitié se découvre dans le partage, les voyages et les échanges. Les mots de Fernand Léger, enjoués, critiques et cyniques parfois, nous livrent sa vision de l’art, de la culture et de la société sous un angle encore inconnu jusque-là.

Trente ans de vie nous sont offerts au gré des témoignages fragiles et précieux. Quelques lignes seulement, en toute intimité, nous permettent de découvrir leur profonde amitié. Au fil des pages s’ajoutent des illustrations d’une grande richesse : photographies, portraits, dessins et tableaux connus et méconnus qui nous plongent dans l’univers de cette famille de cœur. Le corpus de quarante-neuf lettres, écrites entre 1906 et 1932 – dont quarante sont conservées à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine –, apporte un éclairage sur leurs œuvres et leurs sources d’inspiration.

La correspondance est préfacée par Michel Onfray, présentée et annotée par Tristan Rondeau et précédée de textes introductifs des historiens Laurence Graffin, Yves Chevrefils Desbiolles, Jean-Christophe Orticoni et Benoît Noël (éditions BVR).

Agnès Babois

 

Lettres de Fernand Léger à André et Charlotte Mare (1906-1932), Édition de Tristan Rondeau, éditions BVR, 2019

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[Chronique] Agathe d’Anne Cathrine Bomann https://perluete.normandielivre.fr/chronique-agathe-danne-cathrine-bomann/ Thu, 09 Jan 2020 13:33:08 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1407 Avec Agathe, Anne Cathrine Bomann, qui participera aux Boréales 2020 consacrées au Danemark, signe un premier roman devenu un véritable phénomène littéraire, traduit en une vingtaine de langues.

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La vie, mode d’emploi*
Avec Agathe, Anne Cathrine Bomann, qui participera aux Boréales 2020 consacrées au Danemark, signe un premier roman devenu un véritable phénomène littéraire, traduit en une vingtaine de langues.
agathe
© Valérie Schmitt

Un psychanalyste de 72 ans, en fin de carrière, met en place un compte à rebours de ses entretiens avant la retraite et attend impatiemment son dernier patient... Mais après ? que faire de sa vie une fois le compte à rebours atteint ? « Je réalisai que j’avais nourri l’idée que la vraie vie, la récompense de tout ce labeur, m’attendrait quand je prendrais ma retraite. Mais assis là, j’étais fichtrement incapable de voir ce que cette vie contiendrait qui vaudrait la peine de s’en réjouir. » Les rendez-vous s’enchaînent donc au fil des jours, et le praticien, désabusé, met de plus en plus à distance ses patients, se moquant intérieurement de leurs lubies, les dessinant au lieu de les écouter...

C’est à ce point crucial de sa carrière que surgit une jeune Allemande, Agathe Zimmermann, qui force la porte du cabinet du psychanalyste. Fragile, Agathe a fait une tentative de suicide et a des tendances autodestructrices : « Je suis en colère parce que je n’ai rien réalisé. J’aurais dû être quelqu’un et je suis devenue rien. » Mais petit à petit, au fil des rendez-vous, Agathe va aussi forcer les défenses du vieux praticien, qui se surprend à l’attendre avec impatience et se révèle aussi peu armé face à la vie que ses patients.

Mots choisis

« Et maintenant, j’aimerais en savoir un peu plus sur ce qui vous fait souffrir.

Agathe hésita et plissa légèrement les yeux.

– Je suis venue, dit-elle alors avec son accent distinct et une application qui faisait nettement ressortir chaque syllabe, parce que j’ai de nouveau perdu l’envie de vivre. Je ne nourris aucune illusion d’aller bien, j’aimerais simplement pouvoir fonctionner.

J’avais apparemment affaire ici à quelque chose d’aussi exceptionnel qu’une personne qui ne demande pas de miracles. La plupart de mes patients souhaitaient de l’aide pour vivre des vies heureuses, sans problèmes, mais ce n’était pas là une marchandise que j’avais en stock. »

Un premier roman intimiste, sans grandes effusions, à l’écriture simple et douce, de la psychologue danoise Anne Cathrine Bomann, qui dépeint la rencontre de deux solitudes, deux personnes qui cherchent « comment fonctionner » en ce monde.

 

Valérie Schmitt

 

Agathe - Anne Cathrine Bomann, traduit du danois par Inès Jorgensen, La Peuplade, 2019

 

*Clin d’œil au chef-d’œuvre éponyme de Georges Perec, éditions Hachette, 1978.

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[Chronique] On ne peut pas tenir la mer entre ses mains de Laure Limongi https://perluete.normandielivre.fr/chronique-on-ne-peut-pas-tenir-la-mer-entre-ses-mains-de-laure-limongi/ Thu, 09 Jan 2020 13:23:04 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=1402 Dans ce roman, le tableau idyllique de la famille parfaite cède rapidement la place à la conscience d’un silence pesant qui règne entre ses membres. Laure Limongi décortique ici les vapeurs méphitiques des secrets de famille et explore la reconstruction de l’image maternelle.

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Secrets de famille
Dans ce roman, le tableau idyllique de la famille parfaite cède rapidement la place à la conscience d’un silence pesant qui règne entre ses membres. Laure Limongi décortique ici les vapeurs méphitiques des secrets de famille et explore la reconstruction de l’image maternelle.
On ne peut pas tenir la mer entre ses mains
© Dominique Panchèvre

Laure Limongi écrit, cheminant parfois avec des artistes venus d’ailleurs, comme la graphiste Fanette Mellier. Elle est aussi musicienne, éditrice et coordonne le master « Création littéraire » situé dans l’enceinte de l’École supérieure d’art et de design Le Havre-Rouen. Mais d’abord, elle écrit. Et il y a cette élégance chez elle, qui consiste à éviter le piège autobiographique alors que On ne peut pas tenir la mer entre ses mains est pétri des silences, des absences et des incompréhensions propres à la saga familiale, que ce soit sous le soleil corse ou sur le continent.

Huma est cette enfant dont le prénom s’est échappé d’un rêve de sa mère. Elle surgit dans le roman lorsque la narratrice abandonne le « je » du retour en Corse pour la troisième personne ; absente et présente, elle est là et elle n’est pas là, mais elle sera jusqu’au terme du roman le catalyseur de sa reconstruction familiale. Si « on ne peut pas changer le passé », on peut le recomposer. Huma s’y emploie en grandissant : elle puise dans les paroles, les signes, la lourdeur des silences et des non-dits, les regards enfumés, tantôt si lointains, tantôt si crûment réels d’Alice, sa mère, qui soudain s’éclairent avec fulgurance lors de juxtapositions fortuites ou provoquées, mettant sa propre couleur dans les zones grises de ce passé recomposé.

Comme chez Daniel Arasse, dans On n’y voit rien, qui cherche l’anomalie lui permettant d’éclairer et de comprendre le tableau, Huma observe, côtoie, chemine avec les membres de cette famille aux secrets délétères, mais il lui faudra vivre en son sein, les mensonges accumulés comme une peau malaisée à supporter, puis s’en éloigner pour enfin accéder aux non-dits révélateurs : le tableau familial s’éclaire mais la narratrice ne revient pas au « je ». Comme lors d’une réaction chimique, le catalyseur sort intact du processus.

Une question reste en suspens : et si la « mer » du titre – que l’on ne peut pas tenir entre ses mains – n’était qu’une poétique et pudique homophonie pour cette « mère » qu’il fut impossible de tenir entre ses bras ? 

Dominique Panchèvre

 

On ne peut pas tenir la mer entre ses mains - Laure Limongi, Grasset, 2019

Mots choisis

"Le secret est lourd, beaucoup trop lourd. Il pèse dans chaque regard, chaque expression. Rien n’est jamais neutre. Le secret transforme la veille en cauchemar et abolit le rêve. Le secret change les minutes en siècles inquiétants. Il prend toute la place. L’absence est une gangrène, elle envahit tout."

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