Archives des Dossier - Perluète https://perluete.normandielivre.fr/category/dossier/ La revue littéraire de Normandie livre & lecture Fri, 13 Oct 2023 15:09:34 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.2.4 https://perluete.fr/archives_00-14/wp-content/uploads/2020/08/cropped-200_2006-1-32x32.png Archives des Dossier - Perluète https://perluete.normandielivre.fr/category/dossier/ 32 32 153862814 [Dossier] Le livre en chantier https://perluete.normandielivre.fr/dossier-le-livre-en-chantier/ Fri, 13 Oct 2023 13:55:49 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=5523 Nouveaux défis sociétaux et nouvelles pratiques de lecture bousculent les professionnels. La filière doit réfléchir collectivement aux adaptations nécessaires.

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Une nouvelle grille de lecture

Nouveaux défis sociétaux et nouvelles pratiques de lecture bousculent les professionnels. La filière doit réfléchir collectivement aux adaptations nécessaires.

Avec sa démarche « Le livre en chantier », Normandie Livre & Lecture engage la réflexion. Huit ateliers participatifs, organisés cette année partout en région, vont alimenter sa feuille de route.

Laurent Cauville et Stéphane Maurice  / aprim

© N2L

Près de 500 nouveautés inondant d’un coup les librairies. En septembre, la vague de la rentrée littéraire est un faux indicateur de l’état de forme de la filière livre. Cette année encore, elle est teintée d’inquiétude pour les professionnels, dans un contexte inflationniste toujours soutenu.

Si le livre et la lecture ne sont pas en chute libre en France (lire par ailleurs), des transformations profondes sont engagées sur le champ des pratiques. Dans une « guerre de l’attention » où les écrans sont des hameçons, quelle place pour le papier, quel avenir pour la lecture ? Et quelles incidences sur la diffusion et la création ? « Anticiper ce nouveau rapport au “lire”, et le faire collectivement, devient donc crucial pour toute la filière », résume Sophie Noël, directrice de Normandie Livre & Lecture.

Huit ateliers, deux thèmes

Pour « tracer des perspectives face à ces enjeux et envisager des solutions communes », l’agence régionale du livre a donc amorcé au printemps une démarche de réflexion-consultation inédite. Une série de huit ateliers menés en Normandie de mars à juin a permis à plus de 80 participants de s’exprimer. « Auteurs, organisateurs de salons, libraires, éditeurs, bibliothécaires, organisateurs de résidences artistiques, institutionnels... Toutes les composantes du livre en Normandie y étaient. » L’approche participative a plutôt séduit : « Des temps d’échanges utiles car, hors relation exclusivement commerciale, il existe peu d’espaces pour rencontrer les libraires », confirme l’éditrice Fabienne Germain (éditions Zinédi).

Deux questions centrales ont alimenté les débats : Comment mieux rapprocher les professionnels ? Comment bien anticiper les mutations du livre et de la lecture ? « Ces deux thèmes sont la raison d’être de Normandie Livre & Lecture, insiste Sophie Noël. Ils illustrent ce à quoi nous voulons être utiles : favoriser une coopération permanente au sein de la filière et proposer des clés de prospective. »

D’Argentan à Cherbourg, de Caen à Rouen, ces ateliers ont nourri une première liste des besoins et esquissé des pistes d’actions. Ainsi, le besoin d’accélérer la mise en réseau des professionnels se confirme. « On a imaginé par exemple des “speed meetings” ou des “Vis ma vie de libraire”...», illustre Sophie Noël. « Aussi à des actions pour mettre en relation des éditeurs, des auteurs, des bibliothécaires, par exemple un annuaire professionnel et un vade-mecum des bonnes pratiques », retient encore Pierre Aubert, directeur de la médiathèque Quai des Mondes à Mondeville.

Croisement d’idées

Sur l’adaptation aux nouvelles attentes du public, il a été beaucoup question de mieux valoriser l’offre. « Les recommandations par les lecteurs eux-mêmes, au sein de cercles de lecture, sont des approches à développer, tout comme une meilleure utilisation des réseaux sociaux, voire le recours aux influenceurs... » On s’est aussi demandé comment mieux valoriser la production régionale, « par exemple en proposant dans chaque librairie une table dédiée aux éditeurs de Normandie », ajoute Fabienne Germain. On a évoqué de nouvelles médiations du livre, ou une meilleure présence de l’écrit dans l’espace public. « Le croisement de toutes ces idées va nourrir notre plan d’action pour les trois ans à venir, à partir de 2024, apprécie Sophie Noël. Nous disposons là d’une bonne base pour envisager l’avenir plus collectivement. »

>>> Retrouvez la version longue des interviews de Sophie Noël, Fabienne Germain et Pierre Aubert.

« L’un des gros enjeux, c’est la guerre de l’attention »

À la tête de Normandie Livre & Lecture depuis un an, Sophie Noël fait confiance à l’intelligence collective pour soutenir la filière en ces temps incertains.

Votre démarche de réflexion se nomme « Le livre en chantier ». Est-ce parce que nous vivons une période de bascule pour la lecture ?

« Nous enchaînons les périodes charnières depuis quelque temps déjà, sur fond de mutations autour du numérique et des comportements (notamment chez les jeunes), avec des pratiques bouleversées par la lecture audio et les écrans. La filière est par ailleurs impactée par les suites de la crise Covid et de la guerre en Ukraine. S’ajoutent les enjeux écologiques et d’inclusion. Pour Normandie Livre & Lecture, cet environnement justifie qu’on lance un vrai chantier, au moment où s’ouvre pour elle une nouvelle période, avec l’élaboration d’un plan d’action sur trois ans. »

Comment décririez-vous les mutations en cours ?

« L’un des gros enjeux actuels, c’est la guerre de l’attention qui grignote le temps disponible pour la lecture. Les Français lisent encore, mais autrement. Les lectures sont entrecoupées, la concentration se réduit. De nouveaux modes de lecture émergent, comme le livre audio. Le numérique, avec l’émergence de l’IA, vient aussi bousculer la création et interroger la propriété intellectuelle. Comment intégrer ces nouveaux paradigmes ? Parmi les leviers envisagés lors des ateliers travailler la participation du public, les recommandations est une réponse. Réaffirmer le principe d’une juste répartition de la valeur dans la chaîne du livre en est une autre. »

La filière est-elle préparée à s’adapter ?

« Difficile de le dire, les perceptions de chacun sont différentes. Pour Normandie Livre & Lecture, préparer la filière supposera de développer des collaborations avec des professionnels pour tester des réponses concrètes et transposables. Nous voulons jouer ce rôle de laboratoire, non pas en vase clos, mais in vivo, aux côtés des acteurs volontaires pour expérimenter. »

Que retenez-vous des ateliers ?

« J’ai surtout noté une grande convergence des idées d’un atelier à l’autre. Ce sont des attentes de fond qui se sont exprimées, ce qui sera précieux pour nous aider à établir une stratégie à échelle régionale. »

>>> Retrouvez la version longue de l'interview de Sophie Noël.

Des acteurs à rapprocher

Mieux se connaître et collaborer pour aborder plus sereinement les mutations. Normandie Livre & Lecture défend une vision collective de la profession.

« Nos ateliers participatifs ont confirmé le fort besoin des professionnels de mieux se connaître et de comprendre les contraintes de chacun. » Comme le rappelle Sophie Noël, la démarche « Le livre en chantier » de Normandie Livre & Lecture porte en elle l’idée d’une filière soudée et proactive. Des progrès restent à faire, car comme le souligne l’autrice Françoise Legendre, qui a participé à un atelier près de Rouen, « on évolue encore en silos. En tant qu’écrivaine, je me rends compte qu’il y a beaucoup d’éditeurs en région que je ne connais pas. Mais mieux se connaître n’est pas une fin en soi ; si possible, il faut que ça nourrisse une dynamique d’actions ». Sophie Noël abonde : « Se rapprocher les uns des autres doit surtout faire émerger une vision collective et des objectifs atteignables. »

Si les idées et les pistes d’actions qui ont surgi en ateliers ne seront pas toutes réalisables, elles expriment souvent ce besoin de lien et de partage d’information. « Je pense que des rencontres en physique, ciblées et incarnées, seraient intéressantes à développer, par exemple trois rendez-vous annuels, dans un format au maximum d’une demi-journée », suggère d’ailleurs Françoise Legendre.

>>>  Retrouvez la version longue de l’interview de Françoise Legendre

Des speed meetings pour « réseauter »

Caen, Le Havre, Rouen, Évreux... En 2021 et 2022, Normandie Livre & Lecture a co-organisé quatre rendez-vous Culture-Justice pour rapprocher les structures culturelles et judiciaires. L’expérience donne ses premiers fruits...

Depuis 2018, Normandie Livre & Lecture porte deux missions régionales : le programme « Culture-Justice » pour accompagner le développement de la culture en milieu pénitentiaire et auprès des jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse ; et « Lecture-Justice » pour développer l’accès au livre et la lecture auprès de ces mêmes publics.

En organisant quatre rendez-vous avec les collectivités et les associations du territoire, Normandie Livre & Lecture avait pour objectif de rapprocher le monde judiciaire et le monde culturel. Plus précisément, il s’agissait de proposer un espace de partage autour des métiers de chacun pour mieux déterminer les possibilités de partenariats. 

« Pour l’accès à la culture en détention, les coordonnatrices et coordonnateurs de l’action culturelle jouent un rôle essentiel, observe Laurent Brixtel, cheville ouvrière de ces rencontres. Mais leur temps de travail est compté et ils s’appuient sur un nombre de partenaires repérés pour des projets conséquents. Nous avons souhaité ouvrir ces rencontres à d’autres acteurs du ministère de la Justice : les conseillers d’insertion, les surveillants, les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse où il n’y a pas de coordonnateurs. Sans oublier le milieu ouvert, c’est-à-dire les personnes suivies par la justice sans être incarcérées, ou condamnées à des peines alternatives. »

Côté culture, pour chaque rendez-vous, une dizaine de structures municipales étaient présentes ainsi que des salles de spectacles et des MJC.

Des partenariats concrétisés

« Avec ces prises de contacts qui permettent d’identifier les bonnes personnes et leur rayon d’action, c’est un véritable carnet d’adresses qui s’est constitué, apprécie Laurent Brixtel. Ce réseau permet d’accélérer la mise en œuvre des actions, comme visiter une exposition ou assister à une répétition de théâtre... »

S’il est encore trop tôt pour quantifier les partenariats qui se nouent actuellement, certaines conventions ont déjà été signées. Des postes de travaux d’intérêt général ont notamment été créés au Conservatoire de Rouen.

Actions possibles… 

  • Vade-mecum des bonnes pratiques 
  • Annuaire enrichi des professionnels du livre 
  • Organisation de Vis ma vie entre professionnels
  • Assemblée générale participative et festive
  • Accompagnement des lectures performances
  • Bibliothèques et libraires : marché conclu !

Repères

  • 86 % des Français ont lu au moins un livre en 2020 (contre 92 % en 2018)
  • 81 % des 7-25 ans lisent pour leurs loisirs. Le chiffre décline fortement après 12 ans.
  • 40 % des jeunes ont déjà lu un livre numérique prioritairement sur smartphone (+ 14 points par rapport à 2016 chez les moins de 20 ans)
  • 47 % des 7-25 ans font souvent autre chose en lisant (envoyer des messages, aller sur les réseaux sociaux, regarder des vidéos…)

Des mutations à anticiper

Fournir des clés d’adaptation aux acteurs, créer des dynamiques de réflexion sur l’avenir. C’est en regardant les mutations bien en face que les professionnels pourront s’épanouir.

Baisse du temps de lecture moyen, capacité de concentration fissurée, écran roi, audio plébiscité... Difficile de ne pas voir les transformations à l’œuvre en parcourant les récentes études du CNL(1). Si bon nombre de professionnels en ont conscience, ont-ils pour autant des clés d’adaptation ?

Normandie Livre & Lecture a ouvert ce chantier. Il concerne tous les métiers, jusqu’à celui de l’auteur, qui a vu surgir ces derniers mois l’IA dans un coin de sa tête. « Oui, les supports évoluent, et alors ? » relativise l’autrice jeunesse Alice Brière-Haquet. « Mes enfants lisent des webtoons (BD en ligne) ou des mangas en ligne, pour lesquels ils payent directement l’auteur sous forme de tips. Le signe que ces nouveaux supports peuvent faire émerger des modèles plus favorables aux auteurs. »

La question est donc bien de s’adapter, d’apprivoiser des codes, des outils nouveaux. « À nous d’expérimenter, comme dans un laboratoire », résume Sophie Noël. Les idées exprimées en ateliers vont dans ce sens : mieux valoriser les livres sur les réseaux sociaux, encourager les pratiques participatives (cercles de lecteurs), la lecture « augmentée » (lecture en musique, théâtralisée, à voix haute). « L’écran n’empêche pas la lecture et devient le lieu des premières expériences d’écriture », ajoute Alice Brière-Haquet, 44 ans, qui a fait ses premières armes sur un forum d’enseignants.

(1) centrenationaldulivre.fr, rubrique « Les données clés ».

>>>  Retrouvez la version longue de l’interview d’Alice Brière-Haquet

Lecture à voix haute et battles littéraires

Entièrement rénovée en 2019, La Source, médiathèque de Saint-Lô, est devenue un véritable troisième lieu. Même si le livre n’est plus la seule porte d’entrée pour son public, la médiathèque continue d’innover pour renforcer la pratique de la lecture.

Sur écran ou sur papier, pour se cultiver ou s’évader, la lecture est une solitude désirée. Avec la médiathèque de Saint-Lô, elle devient aussi une expérience sociale partagée. « L’association Lire à Saint-Lô existait de longue date, expose Pascale Navet, directrice de La Source. Elle programmait des événements de son côté, et la médiathèque du sien. Nous avons décidé de fondre ces activités dans un même comité de programmation. »

Au sein de ce club d’amateurs éclairés s’est détaché un groupe de lecteurs à voix haute, Les Haut-Parleurs. « Quand nous invitons un auteur, ils s’emparent des textes pour monter des lectures-spectacles avec des comédiens. Ils ont à cœur de se former et sont un relais précieux pour nos actions de médiation culturelle, poursuit Pascale Navet. Dans le cadre du prochain festival Les Boréales, une lecture de textes sera organisée dans un collège avant de rencontrer une autrice islandaise. »

Des bénévoles force de proposition

Lire à Saint-Lô a également formé une animatrice pour organiser à la médiathèque deux ateliers d’écriture chaque mois. Dans ce partenariat fécond, chacun a trouvé son espace, et la médiathèque accompagne volontiers les projets proposés tant qu’ils sont en phase avec ses objectifs, sa mission et les publics qu’elle souhaite toucher.

Dans sa conquête du public, la médiathèque accueille également les clubs de lecture de deux collèges, qui s’y retrouvent le midi. En fin d’année, ils défendront leurs coups de cœur lors d’une battle de lecture organisée dans l’amphithéâtre.

Actions possibles… 

  • Promouvoir les pratiques participatives (cercles de lecture) et nouvelles formes de médiation (voix haute, performances, littérature dans l’espace public)
  • Relayer les grandes campagnes nationales en valorisant les initiatives normandes
  • Valoriser les recommandations de lecture en physique et en numérique
  • Travailler avec des influenceurs culturels

Libre cour(t) : Jean-Baptiste Verrier

Une page blanche, une inspiration... Dans chaque numéro de Perluète, un auteur invité prolonge le thème du dossier du mois.

« Jouer avec les mots, les découper, les faire sonner différemment, les écrire bizarrement, me semble le plus agréable des chemins d’écriture. En outre, il n’y a parfois pas besoin de grand-chose pour tordre un mot. J’ai voulu essayer avec l’un d’eux, à l’honneur dans ce numéro. »

Du crépuscule à l’aube, monsieur Bienseul trie les cheveux récoltés au cours de sa journée de travail. Monsieur Bienseul est balayeur au salon de monsieur Dumonde, depuis trente-deux ans et quatre mois. Comme il est un employé fidèle, monsieur Dumonde lui a accordé depuis janvier un privilège : le droit d’emporter – puisqu’il semblait tant y tenir – les cheveux amassés.

C’est depuis lors que, chaque soir, à son domicile, monsieur Bienseul sépare les cheveux blonds, les cheveux bruns, les cheveux gris ; les roux, les teints, parfois les décolorés, aussi.

Sur la table unique de son appartement, une lampe éclaire six tiroirs retirés d’un meuble de quincaillier. Assis sur son tabouret, monsieur Bienseul œuvre avec minutie.

Ainsi du mardi au samedi.

Il balaie le jour.

Il trie la nuit.

Les dimanches et lundis, pour son repos, monsieur Bienseul écrit. Il coiffe la vie de milliers de personnages nés d’une tentation d’imaginer qu’il avait ressentie auparavant, quelquefois.

À la racine de son inspiration : un cheveu blond, un cheveu brun, un cheveu gris ; un roux, un teint, parfois un décoloré, aussi.

Pour le jour où il sera autorisé à prendre la retraite, monsieur Bienseul aimerait regrouper ces vies dans un recueil. Pour l’intitulé de l’ouvrage, il demanderait bien à monsieur Dumonde une nouvelle faveur : l’autorisation d’emprunter le nom de son salon. Il lui semble que cela ferait un beau titre, Le collec’tif.

© DR

Bio express 

Originaire de Dieppe en « Haute-Normandie », Jean-Baptiste Verrier vit en « Basse », dans le pays d’Auge. Ancienne plume devenue écrivain, il est l’auteur, avec Pierre François Rault aux crayons, d’un recueil de poésie consacré à la classe de CP, Un cursif ABC, 26 poèmes dans la caboche d’une élève de CP, paru aux Éditions du Volcan en 2022. Il vient de publier, avec le même illustrateur et chez le même éditeur, Poèmes de braquets, un jeu poétique inspiré par les vies anonymes des spectateurs du Tour de France.

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[Dossier] Vers une écologie du livre ? https://perluete.normandielivre.fr/dossier-vers-une-ecologie-du-livre/ Sun, 04 Jun 2023 09:26:03 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=5239 Impact environnemental du livre, rémunération, soutien aux petits indépendants, pluralité de l’offre… La cause de l’écologie du livre va bien au-delà d’un simple bilan carbone.

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Impact environnemental du livre, rémunération, soutien aux petits indépendants, pluralité de l’offre… La cause de l’écologie du livre va bien au-delà d’un simple bilan carbone.

En Normandie, la démarche titille les professionnels, sous la houlette de Normandie Livre & Lecture.

Laurent Cauville et Stéphane Maurice / aprim

(Re)penser collectivement la filière du livre, à l’aune des enjeux écologiques (sociaux et environnementaux). C’est à ce chantier brûlant que s’attellent actuellement de plus en plus d’acteurs de la filière livre en Normandie. Car il est grand temps d’agir, si l’on en croit Marin Schaffner, cofondateur de l’Association pour l’écologie du livre : « L’industrialisation de la filière a créé des logiques destructrices qui ont amené une exploitation polluante des ressources et une précarisation des acteurs », résume-t-il (lire par ailleurs).

Bonne nouvelle, il semblerait que les professionnels de l’écosystème du livre soient de plus en plus nombreux à interroger leurs pratiques. « D’actions individuelles à la création de réseaux, on agit à différentes échelles sur le sujet », commente Marion Cazy, chargée de projet « Écologie du livre » à Normandie Livre & Lecture. En créant cette fonction, l’agence affiche ses intentions : « piloter une réflexion régionale autour de l’écosystème du livre et de son impact social, environnemental et solidaire ».

Lancée fin 2020 à travers six groupes de travail (écosystème, auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, manifestations littéraires) auxquels ont participé environ 40 professionnels, la démarche prend en Normandie, aujourd’hui une des régions de référence. « Nous nous sommes rapprochés des Pays de la Loire, en avance sur le sujet en 2020. Depuis, nous progressons, tout en développant des échanges avec d’autres structures régionales. » Journées d’étude, webinaires, boîte à outils en ligne et même charte des bonnes pratiques. « C’est une attente exprimée par des lecteurs lors d’une de nos enquêtes. Déjà une dizaine de professionnels y ont adhéré. Des bibliothèques s’apprêtent à les rejoindre, peut-être aussi des salons ou événements littéraires… »

 

Bibliothèques engagées

Pour autant, la prise de conscience est-elle si large ? « Le frémissement se confirme mois après mois, mais lentement, concède Marion Cazy. C’est moins évident pour les auteurs, par exemple, du fait de leur précarité ; ou pour les petits éditeurs qui sortent de la crise Covid et sont aujourd’hui dans celle du coût des matières premières. »

Grainothèques en médiathèque, résidences d’écrivain en cabane « décroissante » (lire ci-contre), réflexions sur la bibliodiversité ou sur la rémunération... En première ligne, les bibliothèques ont un rôle clé à jouer auprès du public. « Elles sont surtout sur le champ de l’écologie matérielle, le zéro déchet, la sobriété, les circuits courts », abonde Marion Cazy. Les exemples foisonnent. À Rouen, dès 2019, le réseau des bibliothèques de la Ville a ainsi développé les initiatives, sous la houlette de Maryon Le Nagard, devenue depuis référente développement durable du réseau, avant d’intégrer l’an passé la médiathèque départementale de Seine-Maritime. « De nombreux projets sont nés : grainothèque, bouturothèque, utilisation de vaisselle lavable, ateliers “DIY”, groupe de travail... À l’époque, sur Rouen, nous avons lancé une dynamique et, en créant la mission, nous nous sommes donné des objectifs. »

Aujourd’hui en charge de la même mission pour la médiathèque départementale, Maryon Le Nagard observe : « Les initiatives affluent. C’est la médiathèque de Maromme qui crée une ruche, ce sont des ateliers couture, cosmétique responsable ou biodiversité un peu partout... Les établissements qui s’inscrivent dans cette démarche durable peuvent s’appuyer sur des accélérateurs précieux, comme la commission bibliothèques vertes de l’ABF, dont le blog (bib.vertes.abf.asso.fr) est très utile. »

Également au contact quotidien des lecteurs, où en sont les libraires ? « Les questions de la seconde main, des emballages, du transport ou de la bibliodiversité se posent à eux. Mais ils sont accaparés par le quotidien. À nous de les aider à dessiner des pistes d’actions. » Comme le dit Cécile Lavoisier-Mouillac, libraire dans le Sud-Manche : « Si on aime la dimension artisanale du métier d’éditeur, on peut faire un libraire plus responsable. » Sa librairie itinérante, La Salicorne et le Rhinocéros, ne fait pas d’office, donc garde toute liberté dans le choix de ses livres. « Je privilégie les petites maisons, engagées socialement, écologiquement, qui accordent un soin à la fabrication. La question des conditions d’impression s’invite aussi dans les débats. « Les imprimeurs commencent à se saisir des enjeux, mais sans doute pas encore assez », estime Francis-Luc Merelo, membre du groupe de travail sur l’écologie du livre. Directeur commercial d’Iropa (100 salariés), il revendique une imprimerie raisonnée et une frugalité énergétique. « Penser environnement c’est aussi penser social. C’est sûr, nous ne sommes pas les moins chers, mais l’enjeu c’est aussi de préserver des savoir-faire dans nos régions. »

Comme le dit la libraire Cécile Lavoisier-Mouillac, « de la même manière qu’on aime connaître la provenance de ses légumes, je fais attention à l’origine des livres que je vends ». Le bon sens terrien peut aider à reverdir la filière.

Retrouvez la version longue des interviews de Marion Cazy, Maryon Le Nagard, Céline Lavoisier-Mouillac, Francis-Luc Merelo

Plus d’infos

Repères

  • 1 livre sur 4 ne sera jamais acheté. 20 % finissent au pilon.
  • 250 : le nombre de sympathisants autour de l’Association pour l’écologie du livre.

Tirages, droits d’auteur…

ÉDIFICE REPENSE SON MÉTIER D’ÉDITEUR

Le financement participatif pour lutter contre la surproduction de livres ? C’est le modèle privilégié par les éditions Édifice pour construire son catalogue sur des fondations plus saines.

Tirer au plus juste, limiter les invendus. Tous les éditeurs poursuivent cette chimère, mais les faits sont têtus. Plus de 20 % des livres imprimés sont encore pilonnés. En multipliant les stages pour son master Ingénierie éditoriale et communication, Julie Pommier a été témoin de cette pratique choquante.

Julie Pommier © S. Maurice / Aprim

« Détruire des ouvrages coûte moins cher que de stocker ou donner. Je ne voulais pas créer ma maison d’édition sur cette absurdité. J’ai décidé de ne pas imprimer un livre de trop, et le financement participatif s’est proposé comme LA solution. »

Les éditions Édifice, toute jeune maison havraise, publieront cette année quatre ouvrages de BD, puis six en 2024. Pour chaque campagne de financement, l’objectif est fixé à 250 précommandes pour les premiers titres (légèrement en dessous du seuil de rentabilité situé à 300 exemplaires). « Si nous atteignons le premier palier à 60 % de l’objectif, la BD sera imprimée mais il n’y aura pas de réimpression ni de vente en librairie. Entre 95 % et 99 % de l’objectif, nous prolongeons la campagne pour atteindre les 100 % et assurer une diffusion en librairie. »

Pour Julie Pommier, maintenir ce lien avec les libraires locaux est primordial, car ils sont les premiers conseils des lecteurs. Durant la campagne, ils peuvent d’ailleurs précommander grâce au pack Libraires qui leur réserve cinq ouvrages.

 

Des auteurs mieux rémunérés

Si un projet n’atteint pas les 60 % requis, l’auteur est libéré. Il conserve son à-valoir, la liste des contacts générés pendant la campagne de précommande, et bien sûr la faculté de proposer à un autre éditeur son projet déjà avancé. Il n’y a donc pas de perte sèche si l’aventure s’arrête. Mais avec ce mode de production, Julie Pommier s’attaque surtout au tabou des droits d’auteur. Le financement participatif permet de mieux redistribuer le prix du livre. « En percevant seulement de 3 % à 10 % du prix de vente, les auteurs sont les moins bien payés de la chaîne du livre. Pour une rémunération plus juste, Édifice propose 16 %, calculés sur les 250 précommandes. »

>>> Retrouvez la version longue de l’interview de Julie Pommier 

Une médiathèque actrice de la transition écologique

Agir maintenant et à son échelle. Fidèle à ce principe, la médiathèque de Fontaine-Étoupefour sensibilise le public aux questions environnementales.

Distinguée par le Prix Livre Hebdo de la petite bibliothèque en 2021, candidate française la même année au Green Library Award de l’IFLA (1), la médiathèque de Fontaine-Étoupefour (2 700 habitants dans le Calvados) assume sa sensibilité. « Tout est parti du livre La Famille zéro déchet. Son succès auprès des lecteurs a confirmé notre orientation », se souvient Olivéra Lajon, directrice de la médiathèque. Écoresponsable dans sa démarche, l’établissement avance ses propositions en douceur et sans stigmatisation. « Nous ne sommes pas là pour accuser, ce qui pourrait heurter ou lasser le public, mais pour sensibiliser. » Vert d’avril, Fresque du climat, soirée-débat Environnement mon amour, exposition Mission potager... Le programme des animations invite à la réflexion et propose au public des pistes pour agir selon ses moyens. Quand le printemps arrive, la médiathèque n’hésite pas à sortir de ses murs pour des journées lecture en pleine nature, des ateliers d’écriture ou des captations de sons en forêt.

Riche de 12 000 documents, pratiquant le compostage, le troc de livres et de graines, la médiathèque n’a pas souhaité isoler un fonds spécifique dans ses rayonnages. « Ce n’est pas un sujet à part. Romans, documentaires, essais…, les livres traitant d’environnement sont parmi les autres, car nous pensons que l’écologie doit être partout et à chaque instant. »

(1) International Federation of Library  Associations and Institutions.

Une cabane d’écrivains écoconçue

Bien cachés des regards au fond du parc de l’abbaye de Jumièges, cinq auteurs inaugurent la première saison des résidences d’écriture de l’association Baraques Walden.

Collectif d’artistes-auteurs constitué en 2020 autour du projet Bowary (réduction de Madame Bovary en 280 tweets pour l’année Flaubert), l’association Baraques Walden refait parler d’elle. Aidé d’habiles bricoleurs, son cofondateur Stéphane Nappez a construit une cabane de 20 m2 dans le parc de l’abbaye de Jumièges, propriété du département de Seine-Maritime, qui est également l’un des principaux partenaires du projet. Cet abri, directement inspiré d’un ouvrage de Henry David Thoreau, Walden, ou la Vie dans les bois, est devenu un lieu de résidence pour les écrivains.

Dominique Quélen © S. Maurice / Aprim

Un confort frugal

« Pour sa construction, nous avons privilégié les matériaux de réemploi récupérés localement, précise Stéphane Nappez. Le bac acier du toit a été acheté sur Le Bon Coin, le bois d’œuvre provient d’un chantier de déconstruction, le bardage d’un lot déclassé par une scierie locale. Et l’isolation est assurée par des plaques de carton triple cannelure données par la cartonnerie DS Smith de Rouen. »

Les auteurs en résidence s’installent pour deux périodes non consécutives de quinze jours, à l’ombre des arbres et d’augustes vestiges. Dominique Quélen, résident du moment, est venu avancer une série de 202 poèmes et s’accommode parfaitement du confort frugal des lieux. « Il faut transporter les jerricans d’eau, charger les batteries à l’accueil de l’abbaye, se chauffer et cuisiner avec une bonbonne de gaz. Dans la cabane, rien n’est donné, mais cette précarité est temporaire. »

Même si le travail poétique de Dominique Quélen ne s’inspire pas réellement des lieux – « ce que j’écris, c’est le pays dans lequel j’habite » –, l’isolement et le dépouillement de la cabane l’aident à travailler. « C’est un refuge pour s’isoler. Par le fait d’être en résidence, on s’extrait des obligations et des sollicitations de la vie quotidienne. »

Pendant ces deux séjours de création, Dominique Quélen aura également travaillé autour de la question de la ruine avec les étudiants de l’INSA de Rouen, et animé un atelier de nature writing ouvert à tous, en utilisant des pierres et des feuilles glanées dans le parc comme support d’écriture.

L’association Baraques Walden ne compte pas en rester là et projette de construire d’autres cabanes pour étoffer un réseau de résidences d’artistes. Peut-être du côté d’Orival ou de la baie du Mont-Saint-Michel. À suivre…

>>> baraqueswalden.fr

Pomme Mouette & Colibri - Librairie jeunesse écoresponsable

L’impact environnemental des acteurs du livre préoccupe aussi les libraires.

À Cabourg, une librairie écoconçue s’empare du sujet en sauvant des livres de la destruction.

© Pomme Mouette & Colibri

La pomme suggère le territoire normand, la mouette le bord de mer… Mais le colibri ? « C’est le minuscule oiseau de la légende amérindienne qui fait sa part de travail pour éteindre l’incendie. En baptisant la librairie, je souhaitais suggérer la fraîcheur de l’enfance, éclaire Wilfried Loriot, mais aussi indiquer une sensibilité pour l’écologie. »

À la manière de l’oiseau-mouche, Pomme Mouette & Colibri veut apporter sa contribution à petites touches pour défendre la planète. Et cela se remarque tout de suite. Pour construire l’ambiance de sa boutique, le libraire a chiné du mobilier et des éléments de décor : un piano droit, une cheminée, de vieilles étagères, et même un arbre ramené de la forêt. Dès l’entrée, un rayon nature-environnement accueille les jeunes lecteurs. « J’ai voulu aller droit au but et identifier cet espace pour guider les parents et les enseignants qui me demandent des choix de lecture sur ce thème. »

Wilfried Loriot travaille étroitement avec les enseignants, intervient au collège public de Dives-sur-Mer, invite des auteurs et accueille dans sa boutique les classes de 5e et 4e à travers l’opération Coup de jeunes en librairie. Construit en partenariat avec l’association des librairies indépendantes de Normandie et Normandie Livre & Lecture, ce dispositif propose aux élèves une découverte des métiers du livre, et les invite – grâce à des bons d’achat de la Région – à désigner dans une sélection de livres leur coup de cœur de lecture.

Wilfried Loriot a également créé un petit fonds de littérature jeunesse d’occasion. Et avec Expodif, un grossiste qui déstocke des livres neufs, il sauve des ouvrages promis au pilon en leur offrant une seconde chance à prix réduit, mais sans faculté de retour. Des petits gestes que ne renierait pas le colibri.

>>> www.pommemouetteetcolibri.fr

15, avenue de Bavent, Cabourg - 02 31 29 64 68

« Une réponse à l’exploitation polluante des ressources et à la précarisation des acteurs »

L’écologie du livre va au-delà de la fabrication ou d’un transport plus vertueux. Comme le rappelle ici l’auteur et traducteur Marin Schaffner (1), cofondateur de l’Association pour l’écologie du livre, les piliers du social et de la bibliodiversité sont essentiels.

Quelles sont les dérives auxquelles l’écologie du livre doit répondre aujourd’hui ?

Depuis les années 1980, la filière du livre est devenue une véritable industrie. Partout dans notre société, la consommation s’est massifiée. Et seule la loi Lang a permis de défendre le livre de création et de préserver des librairies et des maisons d’édition indépendantes. L’arrivée du numérique a également bousculé le temps long de la lecture. Ces logiques destructrices multiples ont conduit à un envol de l’exploitation polluante des ressources et de la précarisation des acteurs et actrices.

Quelle vision de l’écologie du livre portez-vous ?

Au-delà de la fabrication et du transport du livre, nous l’envisageons comme une transformation plus profonde, pour penser le monde du livre et de la lecture comme un écosystème, et non une juxtaposition de secteurs. Une écologie du livre qui soit à la fois matérielle (écoresponsabilité), sociale (interprofession, coopération, répartition de la valeur) et symbolique, c’est-à-dire soucieuse de bibliodiversité, en protégeant la pluralité des manières de raconter des histoires partout sur la planète, dans toutes les langues.

À travers cette vision de l’écologie du livre, l’enjeu est d’enrayer la destruction du vivant tout en œuvrant à la plus grande diversité possible.

(1) Propos extraits de son intervention lors d’une journée sur l’écologie du livre organisée par Normandie Livre & Lecture en 2021.

>>> Retrouvez la version longue de l’intervention de Marin Schaffner

Libre cour(t) : Séraphine Menu

Une page blanche, une inspiration... Dans chaque numéro de Perluète, un auteur invité prolonge le thème du dossier du mois.

« J’aime les boulangeries pour leur odeur et les bonnes choses qu’elles proposent, tout comme j’aime le parfum des livres et la sensation qu’ils nourrissent mon imagination. J’ai conçu ce texte comme une rencontre entre eux, imaginant un monde où le livre serait créé, vendu et apprécié en circuit court. »

La petite librangerie

Aux premières lueurs du jour, Papa murmure un « bonjour » en forme de baiser au creux de ma joue, pour me réveiller. Sans retirer mon pyjama, il m’installe sur son vélo, juste derrière lui. Il sent bon la pâte à livre, qu’il a passé la nuit à pétrir. Ses yeux sont fatigués, cernés, mais pétillent comme un feu de cheminée. J’enroule mes bras autour de lui. C’est parti !

Nous passons devant la fabrique à papier, où les ouvriers boivent leur café, et près des récolteuses de pigments, accroupies dans les champs. Attablés devant leur petit déjeuner, les auteurs partagent avec nous leurs dernières idées. Mais il faut se dépêcher, les premiers lecteurs ne vont pas tarder ! Papa accélère à travers la forêt, où les bûcherons coupent leur sapin quotidien, qui servira à préparer les livres de demain.

En arrivant à la librangerie, maman est enrobée dans son tablier comme un cadeau dans un beau paquet. Elle passe une blouse par-dessus mon pyjama et, sous une pluie de bisous, m’entraîne derrière le comptoir. Tout est déjà prêt pour l’ouverture : les gros volumes à partager sur les hautes étagères, les petits romans croustillants juste devant la caisse, les recueils de nouvelles toutes fraîches dans la vitrine.

Au fond du magasin, Joy, l’illustratrice du jour, est en train de dessiner. Il y a aussi Hiro, courbé sur les tests d’impression, et Mathilde, qui imprime. Mais déjà, les premiers lecteurs se hâtent. C’est à moi de mettre la main à la pâte ! « Bonjour, qu’est-ce qui vous ferait envie aujourd’hui ? Fantasy, polar ou poésie ? Romance, aventure ou album pour les petits ? »

© Alban Van Wassenhov

Bio express

Née en Normandie, Séraphine Menu est éditrice jeunesse et auteure. Après ses études, elle se spécialise dans le domaine de la jeunesse et collabore à plusieurs projets littéraires et éditoriaux. Elle s’installe à Londres, puis voyage en Asie, au Canada. De nouveau installée en Normandie, elle a publié deux romans pour adolescents chez Thierry Magnier : Les Déclinaisons de la Marguerite et The Yellow Line ; des livres entre album et BD : Les Parpadouffes (La Pastèque) ; et un documentaire jeunesse : Biomimétisme, la nature comme modèle (La Pastèque). Dernier titre paru : La Boucle d’oreille rose (Møtus).

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[Dossier] Le nouvel âge des bibliothèques https://perluete.normandielivre.fr/dossier-le-nouvel-age-des-bibliotheques/ Fri, 03 Mar 2023 09:20:57 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=4897 Pour attirer le public et satisfaire de nouvelles aspirations, les bibliothèques se transforment et adaptent leurs missions. Symboles de l’ambition culturelle des métropoles, généralement soulignée par un geste architectural, elles se redéfinissent comme des tiers-lieux polyvalents dans les communes...

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Pour attirer le public et satisfaire de nouvelles aspirations, les bibliothèques se transforment et adaptent leurs missions. Symboles de l’ambition culturelle des métropoles, généralement soulignée par un geste architectural, elles se redéfinissent comme des tiers-lieux polyvalents dans les communes rurales ou périurbaines.

Dans tous les cas, les bibliothèques sont condamnées à séduire, et leur rayonnement sur le territoire est devenu un leitmotiv.

Laurent Cauville et Stéphane Maurice  / aprim

 

La bibliothèque Oscar Niemeyer au Havre © S. Maurice / aprim

Lieux de savoir et de conservation du patrimoine écrit, les bibliothèques populaires ne sont apparues qu’au milieu du XVIIIe siècle, quand la bourgeoisie s’est inquiétée de l’éducation du peuple. Au début du XXe siècle, les bibliothèques s’adressent encore à des cercles d’érudits et la grande mutation n’intervient qu’à partir des années 1970 avec le renouvellement du concept de lecture publique et l’avènement des médiathèques. Fini les odeurs de vieux papier et le silence de cathédrale des fonds anciens. Les bibliothèques sont devenues des espaces conviviaux où cohabitent livres, CD et DVD. Cette représentation appartient-elle déjà au passé ? Sans doute, car l’emprunt de livres n’est plus la première motivation pour entrer dans une bibliothèque. Si la fréquentation des usagers est en hausse, malgré la concurrence des écrans, c’est parce qu’on y trouve bien autre chose, comme c’est le cas à Maromme notamment.

Un effort de modernisation

Cette lente évolution reflète la modification des impératifs culturels mais aussi des attentes des usagers. « Au milieu du XXe siècle, l’exigence de faire accéder le public à la lecture a été globalement satisfaite, estime Pierre Le Quéau, sociologue, auteur d’une enquête sur les effets des bibliothèques publiques sur leur territoire. Le temps libre mais aussi le niveau de formation du public ont augmenté. On s’est donc proposé de diversifier les goûts. Depuis, la réforme territoriale a nettement accéléré le mouvement. Les intercommunalités et les métropoles se sont développées. Beaucoup de médiathèques ont engagé des travaux de réaménagement pour passer directement de quelques rayonnages à des espaces multimédias. En termes de formation et d’animation, cela nécessite de travailler de nouvelles compétences. »

La bibliothèque comme un outil d’attractivité

La médiathèque, premier acteur culturel du territoire, contribue largement à son rayonnement. Mais la signification n’est pas la même selon le contexte géographique. « Les métropoles sont en concurrence car elles sont prises dans le même mouvement de transformation. Le monde ouvrier est en déclin au profit des secteurs tertiaire et aujourd’hui quaternaire. Pour attirer la “creative class” qui dope la croissance des grandes villes, il faut se doter d’une médiathèque glamour – parfois disproportionnée par rapport aux besoins du public – car cela concourt au classement des villes où il faut bon vivre. »

Si les métropoles se projettent dans un monde global, pour les villes moyennes et les territoires exsangues, c’est autre chose. « La médiathèque vient davantage combler les vides. Elle démontre qu’il est tout de même possible de vivre ici. Dans ce cas, la polyvalence n’a pas le même sens. Il s’agit moins d’attirer que d’accueillir. » C’est précisément le cas à Étrépagny, dans l’Eure, où l’un des principaux employeurs de la ville, la sucrerie Saint Louis, vante les mérites de la médiathèque pour attirer les candidats lors de ses recrutements. La présence d’une médiathèque devient également un argument de persuasion quand une collectivité courtise un médecin pour sa maison de santé.

Des bibliothèques caméléons

Tiraillées entre l’offre et la demande, certaines bibliothèques peuvent donner le sentiment d’aller à hue et à dia pour tenter de satisfaire les besoins du public.

Mais parle-t-on du même public quand on ne comptabilise plus les abonnés mais les participants aux animations ? En fait, la question ne fait pas vraiment débat. Si certaines bibliothèques multiculturelles affichent des fréquentations flatteuses en associant étroitement les habitants au projet d’établissement – parfois en allant les prendre par la main grâce au portage à domicile ou aux actions hors les murs –, elles assurent néanmoins leur mission fondamentale qui reste le développement culturel des populations. Même quand le livre ne joue plus le premier rôle !

Repères

  • 16 000 établissements de lecture publique sont recensés en France (bibliothèques ou points d’accès au livre) et 1 000 équipements ont été créés dans la dernière décennie.
  • Le CRÉDOC a mené deux enquêtes sur les bibliothèques en 2005 et 2016. Il en ressort une hausse de fréquentation (+ 23 %), soit plus de 4 millions d’usagers supplémentaires entre les deux périodes. En revanche, le nombre d’inscrits a reculé (− 5 %) et ne représente plus que 16 % des usagers. L’emprunt de livres a fortement baissé, mais les activités se sont redéployées.
  • 87 % des Français ont fréquenté une bibliothèque une fois dans leur vie (+ 5%).

Un effet réseau à la campagne

© Médiathèque Hector Malot

Un espace BD-manga pour les ados, la création d’un catalogue en ligne… Dix ans après son ouverture, la médiathèque Hector-Malot de Bourg-Achard a toujours des projets. « Nous pensons proximité en permanence, le but étant de mieux accueillir et de surprendre les usagers », résume sa directrice, Marine Romo. L’établissement joue surtout son rôle de tête de réseau sur la communauté de communes du Roumois-Seine (40 000 habitants, 40 communes), pour coordonner une offre diversifiée intégrant 11 autres lieux, dont 6 tenus uniquement par des bénévoles. « La municipalité de Bourg-Achard est motrice de cette démarche, et l’aide de la bibliothèque départementale est précieuse. » Depuis dix ans, la mutualisation se développe : harmonisation informatique, carte unique pour tout le territoire, mais aussi programmation culturelle partagée, comme récemment avec des ateliers itinérants de réalité virtuelle dans le cadre du festival XPO. « Dans certaines communes, où la bibliothèque n’a pas de budget d’animation, c’est la possibilité d’une programmation gratuite. » La médiathèque du bourg-centre joue alors un rôle clé. « Nous insistons sur la coopération, nous partageons nos ressources et l’on revoit sans cesse nos pratiques, avec l’obsession d’un accès gratuit à la culture à un maximum de personnes. »

Ce rôle de pivot de l’activité locale peut prendre des aspects étonnants. À Morteaux-Coulibœuf, la médiathèque a ainsi ouvert en 2019 un espace de coworking. Habitants, télétravailleurs, entreprises… 69 utilisateurs en ont bénéficié en 2022. « L’impact sur l’activité de médiathèque est réel, souligne Dorothée Le Monnier, directrice de la Médiathèque du Pays de Falaise(1). L’arrivée d’un nouveau public a stimulé des projets parfois portés par des télétravailleurs ou bénévoles passionnés, comme nos ateliers généalogie, numérique ou anglais. » Ce dernier devrait faire naître un ciné-club anglophone. « De l’économie, de la culture, de l’animation… Nous sommes devenus un lieu de vie ! ».

(1) Le nom du réseau comprenant les médiathèques de Falaise, Pont-d’Ouilly, Potigny, Morteaux-Coulibœuf.

Lecture, formulaires… et découpe numérique

Les bibliothèques, lieux du lien social et de lutte contre les inégalités ? Les exemples se multiplient.

À la médiathèque d’Argentan Intercom arrive ainsi un fablab, continuité d’un « Minilab » né en 2012, « pour diffuser le numérique dans des applications du quotidien », comme la fabrication de badges ou le flocage de T-shirts. « La fracture numérique est au cœur de cette action, souligne sa directrice Catherine Cauchon. Ce fablab(1) va proposer des usages plus complexes, comme la découpe numérique. » Karine et Quentin, animateurs du service, ne seront pas de trop pour orienter les usagers, « du particulier perdu devant un ordinateur à l’artisan voulant réaliser un prototype ». Dans la même logique de diversification, le lieu devrait bientôt accueillir un café-réparation et une grainothèque.

« La fracture numérique, ce sont aussi ces habitants en difficulté dans leurs démarches administratives en ligne. » La médiathèque d’Argentan y répond, à travers son espace public numérique (EPN) : « Nous pouvons aider à faire un CV, imprimer des documents, mettre une pièce jointe dans un mail… » Pour les cas complexes, elle oriente les usagers vers France Services qui propose des rendez-vous dans les médiathèques de Rânes et d’Ecouché-les-Vallées : « Plus de 200 personnes ont été accompagnées en 2022. »

 

« Pour le silence, c’est raté ! »

Dans le Calvados, à Valdallière, « ces nouvelles offres élargissent nos publics », estime Laurine Miragliese, directrice du réseau de médiathèques de cette commune du bocage virois. Ici, après avoir abrité douze ans un espace Pôle Emploi, on a repensé l’offre autour d’un coin presse et cafétéria devenu essentiel au village. Ludothèque, réunions associatives, expos, concerts… « Si l’on veut venir pour le silence, c’est raté ! » sourit la directrice. Avec des horaires élargis (avec l’aide de la DRAC), le soutien de la bibliothèque départementale et d’une dizaine de bénévoles, le lieu accroît sa fréquentation. « Il le faut. Nous sommes des lieux de liens, surtout en secteur rural, où parfois la bibliothèque est la seule présence de service public. »


(1) Financement Argentan Intercom et Région.

Un marqueur du renouvellement urbain

La bibliothèque, élément central du « vivre ensemble » ? À Saint-Étienne-du-Rouvray, on y croit. En 2024, la future médiathèque Elsa-Triolet (2 000 m2) ouvrira au cœur du quartier du Madrillet/Château Blanc. L’équipement est le fruit du croisement de nombreux points de vue. Ceux des bibliothécaires, qui dès 2016 ont visité d’autres lieux en Bretagne et Normandie ; ceux des programmistes et architectes ; ceux aussi des usagers et des riverains : habitants, écoles, associations, abonnés… « Une concertation en ligne a permis à chacun de s’exprimer, ainsi que des groupes de travail », illustre Catherine Dilosquet, directrice du réseau des trois bibliothèques locales. Il en ressort un bâtiment ouvert sur l’extérieur, articulé autour d’une salle polyvalente, alternant espaces publics ouverts et espaces plus feutrés, aux horaires élargis… Sa construction démarre cette année. 

À Saint-Étienne-du-Rouvray, la future médiathèque Elsa-Triolet est attendue fin 2024 © CBA Architectes

Avec et pour les habitants

Créée en 2015 au nord de la métropole rouennaise, la médiathèque de Maromme a su conquérir un public qui ne lui était pas acquis d’avance.

Est-ce la vue sur le square, la luminosité d’un bâtiment convivial ou la politique culturelle très grand public assumée sans complexe ? Marie Perrier, directrice du Séquoia, ne saurait dire avec certitude ce qui fait son succès. « Nous touchons un public très large. Ce ne sont pas les usagers habituels d’une bibliothèque, beaucoup ne sont d’ailleurs pas lecteurs. Dès l’ouverture, nous avons proposé des jeux vidéo et de société, des ateliers manuels, un atelier de type fablab. Les familles viennent à la médiathèque comme elles vont au square l’été. C’est un espace de sociabilité, et non un monument à livres, où l’on peut manger, prendre un café. Les gens se sentent chez eux. La bibliothèque se définit comme un troisième lieu. »

Pour entretenir cette proximité, la participation du public est régulièrement sollicitée lorsqu’il faut ranger et passer l’aspirateur après avoir utilisé un espace, installer les manettes de jeux, organiser des tournois. Les adolescents sont parmi les plus fidèles et impulsent des idées d’animations. Le dispositif de bourses « Coup de pouce », notamment porté par la Ville, favorise cet investissement qui leur permet de financer un projet personnel en contrepartie d’une période de travail à la médiathèque. « Le cœur du projet, ce ne sont pas les livres, assure Marie Perrier, mais le public. Le livre, c’est un médium qui sert à faire du lien entre les gens. De ce fait, le Séquoia fonctionne au croisement d’une médiathèque et d’un centre social, mais c’est notre positionnement. »

Réalité virtuelle à l’EHPAD

Explorer les fonds marins, découvrir les paysages de savane… Tout est possible avec la réalité virtuelle, même depuis sa maison de retraite.

« Ce qui nous intéresse, c’est de proposer une technologie que les personnes âgées n’ont jamais testée, expose Emmanuelle Bitaux, directrice des médiathèques d’Alençon. Nous allons vers les résidents avec un casque de réalité virtuelle pour leur offrir cette expérience. C’est une occasion de discuter, de s’émerveiller de ce qu’on ne connaît pas. »

Emmanuelle Bitaux souhaiterait multiplier ces expériences hors les murs. Mais à moyens constants, il est difficile de proposer toujours plus d’activités. Pour diversifier les propositions, il faut aussi intégrer de nouvelles compétences. « Le profil du bibliothécaire se transforme pour suivre les évolutions sociétales, mais il en a toujours été ainsi. C’est vrai pour la pratique des loisirs créatifs mais aussi pour le numérique. Tous les bibliothécaires n’ont pas l’appétence pour les nouvelles technologies, mais nous disposons du soutien de bénévoles capables d’animer des ateliers tablettes et lecture augmentée. »

Comme à Maromme, l’activité de la médiathèque se situe à la croisée de la culture et de l’animation. « La question, c’est de savoir jusqu’où se prolonge notre rôle de bibliothécaire, reconnaît Emmanuelle Bitaux. Pour ne pas empiéter sur l’activité d’un centre social, nous pensons toutes nos animations en résonance avec nos collections. »

Chouettes toilettes

« Comme dans un grand restaurant. » C’est l’une des réactions entendues chez les utilisateurs des toilettes de la bibliothèque de Saint-Sever, en 2021, après travaux de déco dans les sanitaires. Designs thématiques (« Gatsby », « azulejos », « jungle »), grand miroir, abattants à frein, propreté… « La qualité de cet accueil est essentielle », milite Sophie Cornière, directrice du lieu à l’initiative du projet. « La France est en retard sur le sujet et en tant que lieu public, nous devons agir. » Son projet a donné à l’ABF l’idée du concours « Chouettes Toilettes », renouvelé en 2022. L’initiative devrait accélérer la prise de conscience.

Infos sur abf.asso.fr, tapez « Chouettes Toilettes » dans le moteur de recherche

En savoir plus sur cette action

Une ludo-médiathèque hyperactive

Racheté par la collectivité pour éviter qu’il ne tombe aux mains d’un investisseur privé, l’ancien couvent des Dominicaines d’Étrépagny s’est trouvé une nouvelle vocation en 2018. Devenu une maison de services et de proximité, il rassemble en un lieu unique les bureaux de la communauté de communes du Vexin normand, une maison de santé, un lieu d’accueil enfants-parents, l’Adotek, un espace France Services. Et, tout autour du cloître, une ludo-médiathèque de 360 m2 proposant 14 000 documents.

Directrice de la Lecture publique, Géraldine Lefèvre se souvient : « Nous avons été têtus avec le programmiste et l’architecte pour concrétiser ce projet mixte, véritable tiers-lieu où les jeux et les livres ne sont plus séparés. L’ambition était de concevoir un espace chaleureux, comme à la maison, ouvert 33 heures par semaine et doté d’un budget d’acquisition significatif. » Pour ne pas multiplier les rayonnages, l’emprunt des documents et des jeux est largement encouragé. Labellisée Espace public numérique, la ludo-médiathèque développe des initiations pour les débutants et des animations pour se perfectionner. Soutenu les deux premières années par la Fondation Orange (subvention de 30 000 €), le brico-labo numérique dispose d’une imprimante 3D, d’un studio photo-vidéo, de robots Lego Mindstorm pour découvrir les bases de la programmation…

Un projet primé

Le concept « lire parmi les jeux, jouer parmi les livres » nécessite de nouvelles compétences. Aux deux bibliothécaires initialement en poste se sont ajoutés une animatrice numérique et un ludothécaire. « Mon métier, ce n’est pas le livre, précise Géraldine Lefèvre, c’est l’accueil du public. La culture, ce n’est pas le support, c’est la transmission. Lorsque notre bibliothécaire jeunesse anime un arbre de Noël, ou que les organisateurs du comice agricole sollicitent notre présence, nous sommes à la limite de la prestation de service. Mais cela permet d’aller au-devant du public et c’est le signe que nous avons trouvé notre place sur le territoire. » Autre forme de consécration, la ludo-médiathèque a reçu le grand prix Livre-Hebdo des bibliothèques en 2019 pour l’originalité de son action. « Ce prix a soudé l’équipe et donné une grande confiance en notre projet. »

Cliquer pour visualiser le diaporama.

Libre cour(t) : Emmanuelle Halgand

Une page blanche, une inspiration... Dans chaque numéro de Perluète, un auteur invité prolonge le thème du dossier du mois.

« Avec ce texte, j’ai voulu parler de la manière dont les livres partagent la vie de ceux qui les empruntent en bibliothèque. Le vieux livre évoque ses aventures foisonnantes, ses voyages auprès des lecteurs... Une épopée, merveilleuse et riche, qui cependant n’échappe pas au poids des années et du temps qui passe. Le vieux livre fait ses adieux. Il a déjà passé la main, d’autres ouvrages prennent la relève, déjà embarqués dans le quotidien des lecteurs. C’est, en quelque sorte, un clin d’œil au cycle de la vie. »

Bon sang, mais sortez-moi d’ici !

Je suis mort, déjà, d’ennui.

Je n’en veux à personne, c’est comme ça. C’est la vie, comme on dit.

Comme elle fut belle, la mienne, comme elle fut riche !

Je me revois, jeune premier au costume flambant neuf, promu au sommet des rayonnages. Je crânais alors du haut de ma couverture impeccable, exhalant à chaque page le parfum suave de la nouveauté.

Fringant, je m’aventurais dans le monde sous des doigts inconnus, tantôt experts, tantôt maladroits. J’étais de toutes les ivresses. Sitôt rentré au port, à peine le temps de la toilette et j’embarquais dans un autre navire pour un nouveau périple.

J’avais alors les mots en poupe !

Où êtes-vous, capitaines des folles traversées de ma jeunesse, vous qui m’avez trimballé sur les mers du monde, dans les chemins de campagne aux détours de villes bruyantes ? Vous, pour qui je comptais. Vous, qui m’avez aimé. Êtes-vous, comme moi, à ce point chahutés par les années ?

Il est tard, maintenant. Gercés par la froideur de l’oubli, les mots tout au fond de moi se serrent pour se réchauffer. Quand donc finira la nuit ?

Il est long, le dernier voyage. Solitaire aussi.

Au petit matin, alors que la foule des nouveaux se pressera au bord des rayonnages, je veux qu’on me prenne car j’ai trop été emprunté. Je suis prêt, je ne me déroberai pas.

Comme elle fut belle, ma vie. Comme elle fut riche !

Pilonnez !

Bio express

Née en 1977, Emmanuelle Halgand vit et travaille à Rouen. Après avoir étudié l’histoire de l’art, le graphisme et la sociologie des publics de la culture, elle se consacre depuis une dizaine d’années à la médiation et la réception de l’album de jeunesse tout en participant au développement de la formation des professionnels de la culture et de l’éducation dans ce domaine. En 2015, elle signe son premier album : Le Voyage des éléphants, éditions Magellan et Cie. Album suivi de plusieurs autres ouvrages pour la jeunesse, dont les derniers : Un, deux, trois petits chats, éditions Magellan et Cie, 2022, 30 aventuriers du ciel, éditions Paulsen, 2022, Toujours souvent parfois, éditions møtus, 2022.

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[Dossier] Boréales, années lumières https://perluete.normandielivre.fr/dossier-boreales-annees-lumieres/ Fri, 14 Oct 2022 08:59:57 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=4465 Événement désormais de dimension européenne, Les Boréales ont 30 ans cette année. Tourné vers toutes les cultures nordiques, le festival réserve toujours une place de choix aux livres. Dans une Normandie imprégnée de « nordicité », il nourrit un public parmi les plus avertis de France.

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Événement désormais de dimension européenne, Les Boréales ont 30 ans cette année. Tourné vers toutes les cultures nordiques, le festival réserve toujours une place de choix aux livres. Dans une Normandie imprégnée de « nordicité », il nourrit un public parmi les plus avertis de France.
Laurent Cauville et Stéphane Maurice / aprim

Au commencement, en 1992, un week-end littéraire discret, créé par Lena Christensen et Éric Eydoux, enseignants au Département nordique de l’université de Caen (1). Publics et auteurs invités en redemandent, puis la neige tient. Trente éditions plus tard, le festival, étendu à dix jours et à d’autres arts (cinéma, musiques, art contemporain, danse...), est une fierté régionale. « C’est devenu un rendez-vous incontournable de la culture nordique en Europe », situe Jérôme Rémy (Normandie Livre & Lecture), son directeur artistique. Bien installé dans le paysage, l’événement a créé et développé un public. « Les Boréales prolongent le lien millénaire de la Normandie avec le Nord et c’est ce qui plaît aux Normands », estime Christian Bank Pedersen, à la tête du Département d’études nordiques de l’université de Caen.

(1) Depuis 2017, le Département d’études nordiques de l’université de Caen est le seul en France à proposer les cinq langues nordiques. Il accueille environ 200 étudiants (50 % régionaux, 50 % d’ailleurs en France).

Public en Nord

L’événement n’en a pas pour autant renié le livre. Chaque édition, le week-end littéraire organisé à Caen reste un must. Cette année, le public pourra y croiser 17 auteurs. Ces derniers sillonneront ensuite la région, de médiathèques en librairies, pour des tournées mémorables, où les bénévoles guident les écrivains sur les petites routes, à la rencontre d’un public souvent avisé. Écrivains et éditeurs veulent en être. « Nous calquons les sorties de nos livres sur le calendrier du festival, avec l’espoir que nos auteurs y seront invités », confie l’éditrice québécoise Mylène Bouchard (La Peuplade), dont trois auteurs seront à Caen cette année : Johanne Lykke Holm (Suède), Juhani Karila (Finlande) et la phénoménale Niviaq Korneliussen (Groenland). « La complicité avec le public est remarquable », poursuit-elle. Venu cinq fois, l’écrivain Björn Larsson adhère : « Ne pas y être invité me rend nostalgique. »

En amplifiant la vague de livres nordiques des années 1990 (Mankell, Paasilinna, Riel, etc.), Les Boréales ont façonné un lectorat normand connaisseur, capable de passer du polar islandais au racontar danois avec le même appétit. « Les Boréales nourrissent la curiosité d’un public local, observe Laurent Martin, directeur de la médiathèque de Mathieu, près de Caen. En nous inscrivant dans sa programmation, un petit lieu comme le nôtre a l’opportunité d’organiser des rencontres avec des auteurs. J’ai en mémoire des grands moments, avec Olivier Truc ou Jón Kalman Stefánsson. Le public en veut encore. »

Plus car affinités

Beaucoup de bibliothèques normandes se mettent ainsi à l’heure « Boréales » à l’approche de l’événement. « L’héritage, on le trouve encore au FRAC ou à l’Artothèque de Caen, à travers un fonds d’œuvres nordiques issues de collaborations avec le festival », complète Jérôme Rémy. « Voyageant partout en France, je constate que l’offre nordique en librairie est également plus riche ici qu’ailleurs », ajoute le Caennais Éric Boury, traducteur de l’islandais (Stefánsson, Indriðason, etc.).

Trente ans de Boréales ont permis aussi de consolider les liens séculaires entre pays nordiques et Normandie, à travers des coproductions, des partenariats, des spectacles en exclusivité. « Aujourd’hui, à l’heure des grands défis climatiques et géopolitiques, il est sans doute temps d’aller plus loin », projette Jérôme Rémy. Dépasser ses dix jours d’événements en novembre, trouver d’autres prolongements le reste de l’année : « Organiser des débats, observer les expérimentations concrètes de ces territoires qui ont une culture de l’adaptabilité assez inspirante. » Il y aurait donc davantage que des élans artistiques à partager ? « Le festival est devenu légitime pour être cette passerelle entre Normandie et Nord, pour regarder de plus près ce fascinant modèle. »

Retrouvez les versions longues des interviews de Jérôme RémyÉric Boury, Christian Bank Pedersen, Björn Larsson, Laurent Martin et Mylène Bouchard.
La Groenlandaise Niviaq Korneliussen / La Vallée des Fleurs (La Peuplade, 2022) © Jorgen Chemnitz

Dix-sept auteurs invités en 2022

Le week-end littéraire de ces 30es Boréales aura lieu les 12 et 13 novembre 2022 au musée des Beaux-Arts de Caen, avec 17 auteurs au programme, parmi lesquels la star montante Niviaq Korneliussen (Groenland) ou le Français Mo Malø.

Avec la Suède pour invitée d’honneur, plusieurs stars littéraires du pays sont annoncées : Linda Boström Knausgård, Steve Sem-Sandberg et David Lagercrantz (Rekke & Vargas). Les auteurs partiront en tournée du 13 au 19 novembre, dans une trentaine de communes normandes (50 dates).

Programme complet sur lesboreales.com

Les éditeurs mettent cap au nord

© Julie Chappallaz

Fondées en 2014 dans le Calvados, les éditions Le Soupirail publient de la littérature française et étrangère contemporaine. « Plutôt exigeante, selon l’aveu d’Emmanuelle Viala-Moysan. Je ne défends pas des sujets mais des auteurs qui sont dans un art : celui d’écrire. »

L’ouverture du catalogue aux auteurs nordiques s’est faite à l’occasion du Salon du livre de Paris en 2019. « Normandie Livre & Lecture m’a proposé de rencontrer l’Institut culturel lituanien et l’attachée culturelle de l’ambassade. J’ai reçu un premier jet de traduction pour un ouvrage de Valdas Papievis (Un morceau de ciel sur la terre). Au bout de dix lignes, je savais où j’étais en littérature. »

Emmanuelle Viala-Moysan met en avant la force du festival. « Les Boréales offrent une belle résonance à nos ouvrages. Le Monde et le Matricule des Anges avaient déjà consacré des articles à Valdas Papievis dès 2020, et l'auteur a été invité aux Boréales en 2021. En 2023 nous publierons son deuxième ouvrage, "Eko". »

 

Le nœud gordien de la traduction

Pour les éditions Passage(s), à Caen, la littérature nordique représente un tiers du domaine étranger. L’étincelle est venue d’un traducteur d’islandais : « Jean-Christophe Salaün nous a signalé les ouvrages de Ragnar Helgi Ólafsson lorsque nous cherchions des textes », se souvient Nicolas Pien. Depuis cette entrée en matière, le rythme des parutions aurait pu s’accélérer si les coûts de traduction (3 000 € à 4 000 €) n’étaient pas prohibitifs pour une structure associative. « Pour publier sans être systématiquement déficitaires, nous devons impérativement nouer des partenariats. C’est le cas avec l’Estonie. Le pays a la volonté d’ouvrir sa littérature au monde et les services culturels subventionnent l’intégralité de la traduction. C’est ainsi que Mehis Heinsaar et Indrek Koff sont venus enrichir notre catalogue. »

Pour la promotion des ouvrages, Nicolas Pien partage l’analyse d’Emmanuelle Viala-Moysan : « En invitant les auteurs, Les Boréales représentent le seul moyen pour nous d’atteindre la presse nationale. Si nous devons retravailler avec des auteurs des pays baltes ou scandinaves, ce sera évidemment en relation avec le festival. »

Rayon frais chez les libraires

© S.Maurice / aprim

Les lecteurs normands plus sensibles à la littérature nordique ? Pour Arnaud Coignet, gérant de la librairie Ryst à Cherbourg, cela ne fait aucun doute, a fortiori dans le Cotentin où les racines scandinaves se prolongent dans l’onomastique et la toponymie.

« Dans la région, des gens se disent vikings. C’est sans doute un peu du folklore, mais au moment du festival, les lecteurs s’intéressent vraiment aux livres que nous mettons en avant et assistent en nombre aux rencontres programmées à la bibliothèque Jacques-Prévert avec les auteurs estoniens, islandais, norvégiens… »

Retrouvez la version longue de l'interview d'Arnaud Coignet

Des amis de (presque) trente ans

© Aprim
Pas de Boréales sans ses bénévoles. Entre ces derniers et les écrivains, la glace se brise souvent très vite. Ex-enseignante en lettres dans un lycée de Flers, Yvette Lerichomme en sait quelque chose.

« Il y a de nombreuses années, j’ai eu la chance d’être sélectionnée par Ouest-France pour rencontrer Jean Rouaud. J’en ai profité pour l’inviter dans ma classe. Il a accepté, mais à une condition : qu’il puisse venir pendant Les Boréales. C’est ainsi que Jérôme Rémy m’a contactée pour savoir si j’étais intéressée par les auteurs nordiques. » Pendant des années, les élèves d’Yvette auront ainsi le privilège de dialoguer avec des écrivains venus du froid. « Il fallait un peu les “remorquer” au départ, mais avec Les Boréales, mon année était gagnée. On avait une complicité incroyable. »

Cette idylle a duré jusqu’à la retraite d’Yvette en 2015. « Mais il n’était pas question de tout lâcher, j’étais addicte aux Boréales… » Elle est devenue accompagnatrice pour les auteurs invités et elle a embarqué Alain, son mari. Ensemble, ils évoquent leur parcours de bénévoles comme on feuillette un album de famille. Les anecdotes s’accumulent, les dates se confondent et les yeux s’embrument parfois. « Nous avons fait des rencontres magnifiques. La ministre de la Culture du Groenland Henriette Rasmussen, Auður Ava Ólafsdóttir, Sigríður Björnsdóttir, Gunnar Staalesen, Bergsveinn Birgisson… » Et beaucoup ont goûté la légendaire tarte Tatin d’Yvette devant un feu de cheminée. Katarina Mazetti s’en est même inspirée pour le gâteau d’anniversaire dans Les Cousins Karlsson. Une vraie consécration !

« Une dimension fraternelle unique »

Björn Larsson, Écrivain suédois, auteur (entre autres) du Cercle celtique et de Long John Silver.

« J’ai participé cinq fois aux Boréales et j’ai toujours un peu de nostalgie quand je n’y suis pas invité. (Rires.) Ma première apparition remonte à 1994, elle a marqué le début de ma reconnaissance en France. À la différence des grands salons internationaux du livre, qui sont de gigantesques librairies, ici on fait d’incroyables rencontres, avec d’autres auteurs mais surtout avec un public averti et délicat. Ce festival m’a permis de faire la connaissance de beaucoup de Normands. Je suis allé dans des écoles, dîner dans des familles… Les Boréales portent une dimension fraternelle, les bénévoles vous accueillent, vous guident et deviennent des amis. En France, avec Étonnants Voyageurs, il est le seul festival à pouvoir proclamer une telle ouverture vers l’autre et l’ailleurs. »

Retrouvez les versions longues des interviews de Christian Bank Pedersen et de Björn Larsson

« Un destin commun avec l’université »

Christian Bank Pedersen, Maître de conférences, directeur du Département d’études nordiques, Université de Caen Normandie

« Entre Les Boréales et l’université de Caen, il y a comme un destin commun. Le festival est né à l’université en 1992, héritage des premiers enseignements nordiques dès les années 1950. Depuis, les deux entités ont des rapports de réciprocité, historiquement naturels, tout comme le lien millénaire entre le nord de l’Europe et la Normandie.

Pour notre Département d’études nordiques, Les Boréales sont déclencheur de projets tout au long de l’année et participent à son attractivité. Par exemple, depuis 2015, nous proposons “Novembre nordique” aux étudiants, cycle de rencontres avec des auteurs nordiques majeurs. Pour les enseignants aussi, c’est un temps de rencontres professionnelles intenses, qui permet d’enrichir son réseau. Si nos effectifs augmentent chaque année (environ 200 étudiants à la rentrée 2022), le festival n’y est pas étranger. »

« La Normandie, capitale des pays nordiques en France »

Lire l’interview intégrale de Jérôme Rémy directeur artistique du festival (Normandie Livre & Lecture)

Constitutive de l’identité profonde du festival, la ligne graphique des Boréales s’est accompagnée d’un travail sur l’esthétique des pays nordiques. Souvent plébiscitées par le public, ci-contre les affiches marquantes pour Jérôme Rémy.

Repères

Les Boréales, c’est :

La Scandinavie (Danemark, Norvège, Suède), la Finlande, l’Islande, les pays baltiques (Estonie, Lituanie, Lettonie), le Groenland et les îles Féroé

Plus de 150 événements en 2022, dont 90 gratuits

  • 17 auteurs invités
  • 30 villes partenaires

30 ans de gestes graphiques...

 

 

Libre cour(t) : Jean Renaud

Une page blanche, une inspiration... Dans chaque numéro de Perluète, un auteur invité prolonge le thème du dossier du mois.

« L’importance qu’accordent les Vikings à la magie est liée à la structure même de leur société et à leur conception de l’univers : les sagas islandaises s’en font l’écho. Voici une manipulation des phénomènes naturels que j’ai imaginée, en m’en inspirant. »

Vengeance et magie

La vieille Helga contemple les nuages qui coiffent le glacier au sommet de la montagne. Elle songe à son mari, Steinarr, qu’elle a découvert, un matin, la gorge tranchée, baignant dans son sang parmi les pieds d’angélique, adossé au muret de l’enclos. Personne n’a revendiqué son meurtre, comme il est alors d’usage en Islande, et Hrafn, qui veille sur leurs moutons, n’est pas revenu, pas même pour les funérailles. Elle est sûre qu’il l’a tué et qu’il se cache.

Le soir venu, Helga s’apprête. Elle enfile par-dessus sa robe une longue cape bleu foncé, s’entoure la tête d’une peau de chèvre et prend son bâton terminé par un pommeau cerclé de bronze. Puis elle sort dans la froide obscurité de l’automne. Un pâle rayon de lune tombe sur les eaux du fjord.

Elle se met à marcher autour de la ferme, dans le sens opposé de la course du soleil, en chantant d’une voix aiguë et monotone. Pressant le pas, elle arrache soudain la peau de chèvre de sa tête et l’agite en direction de la montagne. La lune disparaît et elle sent bientôt les premiers flocons de neige. Une bise glaciale lui picote le visage et elle sourit.

Plus haut, dans la montagne, le blizzard se lève en hurlant. Hrafn, hagard, tente d’atteindre un abri qu’il croit tout proche. Glacé, aveuglé, il lutte pour avancer, mais une violente rafale le plaque à terre. Il ferme les yeux, pousse un cri de désespoir aussitôt étouffé par le vent, et la neige s’amoncelle sur lui. La tourmente déclenchée par Helga l’ensevelit sous un épais manteau blanc : on le retrouvera sans doute au dégel, un rictus de terreur figé par la mort.

© Carsten Ingemann

Bio express

Longtemps directeur du Département d’études nordiques à l’université de Caen, professeur de langues, littérature et civilisation scandinaves jusqu’en 2010, Jean Renaud a publié une quinzaine d’ouvrages sur les Vikings et plusieurs manuels de langues scandinaves. Il a aussi consacré un livre au patois de l’île de Ré et écrit un roman, Le Fils du gardien de phare. Enfin, il est un traducteur reconnu de la littérature nordique en France.

Retrouvez les interviews des acteurs du dossier in extenso :

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[Dossier] Poésie(s) en liberté https://perluete.normandielivre.fr/dossier-poesies-en-liberte/ Mon, 20 Jun 2022 12:39:26 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=4016 Vivante, multiforme, portée par des éditeurs passionnés et des lieux émergents, la poésie contemporaine affirme sa vitalité. Même si elle reste méconnue du grand public, le regain d’intérêt pour ce champ littéraire est alimenté par de nouvelles formes scéniques et digitales.

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Vivante, multiforme, portée par des éditeurs passionnés et des lieux émergents, la poésie contemporaine affirme sa vitalité. Même si elle reste méconnue du grand public, le regain d’intérêt pour ce champ littéraire est alimenté par de nouvelles formes scéniques et digitales.

Laurent Cauville  / aprim

Non, les poètes ne sont pas morts et leurs textes ne disparaissent pas sous la poussière. Comme c’est le cas au Canada, aux États-Unis ou en Belgique, on dirait bien que la poésie reprend pied en France, sous l’impulsion d’auteurs de toutes générations. On la sent requinquée par la combinaison des formes, par la passion et la persévérance d’éditeurs et de lieux nouveaux, où elle s’exprime à voix haute, et s’incarne pour toucher directement un public curieux et multiforme.

C’est en tout cas la tendance en Normandie, terre d’écriture pour l’auteur Christophe Manon, croisé en pleine session d’écriture à la Villa La Brugère (Arromanches) en avril dernier. « Comme tous les genres marginaux, la poésie est bourrée de vitalité. Un substrat où circule une vie souterraine, peu visible mais réelle, avec des auteurs, des éditeurs, des lecteurs et des auditeurs. Sa fragilité économique fait aussi sa force, elle lui permet de surgir dans toutes les conditions, ici via un festival, là une maison d’édition, ou une revue. »

Nouveaux terrains de jeu

Très discrète dans les librairies, délaissée par la presse, la poésie trouve d’autres terrains. « Les manifestations littéraires sont une nouvelle voie intéressante, poursuit l’auteur, devenu adepte de la lecture sur scène, à haute voix (lire par ailleurs). Aujourd’hui, on peut facilement réunir 50 personnes un soir, pour écouter des textes. »

Même si elle regrette que la poésie se vende si mal, la poétesse Françoise Coulmin, 81 ans, publiée depuis une trentaine d’années (notamment chez La Feuille de Thé), apprécie l’émergence de nouveaux vecteurs et de nouvelles formes. « L’Internet y est pour beaucoup, on peut facilement diffuser et lire de la poésie en ligne. Par ailleurs le paysage foisonne d’éditeurs, de nouvelles revues apparaissent. » L’autrice apprécie surtout que la poésie « concerne aussi beaucoup d’auteurs amateurs, qui écrivent pour exprimer une révolte, un élan, d’une façon plus ou moins spontanée, ce qui produit toutes sortes de formes, qui vont de l’alexandrin au slam ».

À Caen, Yohan Leforestier, alias « Yo du milieu », joue (entre autres) au « crieur public », mêlant poésie, slam, arts de la rue et théâtre. « La poésie, c’est plein de formats possibles, et j’aime la voir naître dans le partage et une dimension un peu artisanale. » Par exemple, dans la rue, à travers son personnage de « M. PasseMoiLeMot », il transforme en petites fulgurances poétiques déclamées les humeurs récoltées auprès du public, sur des petits bouts de papier. « Une poésie qui s’écrit avec “Madame et Monsieur Tout le Monde et qui s’inscrit dans le quotidien. »

Poésie incarnée

À l’image de Christophe Manon venu s’atteler en Normandie à un nouveau texte pour « faire cohabiter la prose et de la versification », un vent de liberté formelle souffle sur la poésie. La rime y est une option. Une prose musicale et percussive se déploie et bouscule le lecteur, des punchlines apparaissent, le jeu typographique crée des étincelles… De plus en plus d’auteurs vont aussi au-devant du public, au gré de lectures incarnées, sonnantes, musicales parfois. « La poésie aujourd’hui s’envisage au pluriel, remarque Adeline Miermont-Giustinati, poétesse et créatrice de la nouvelle revue poétique et féministe Carabosse. Les courants se rejoignent, les poètes montent sur scène, les slameurs sortent des livres, les réseaux sociaux portent les mots. » Avec David Spailier, sous le nom d’Eunice 13h02, elle publie depuis peu des poèmes sonores et des vidéopoèmes, diffusés sur Soundcloud, YouTube et Facebook.

 

Du classique à l’expérimental

Dans cette abondance créative, les éditeurs jouent un rôle d’aiguilleur et d’intermédiaire avec le public. Chez Lurlure (Caen), Emmanuel Caroux reçoit en moyenne une dizaine de manuscrits par semaine : « Des écritures qui vont du classique à l’expérimental. » Lurlure vient ainsi de publier Milène Tournier, « dont l’écriture s’élabore à travers des pratiques numériques : vidéos, réseaux sociaux... » mais aussi de rééditer Cent Ballades d’amant et de dame, de la poétesse médiévale Christine de Pizan. Le climat n’est pas à la concurrence. « Il y a de bons éditeurs de poésie en Normandie et nos relations sont bienveillantes », décrit Emmanuel Caroux.

Fondatrice des éditions La Feuille de Thé, Ghislaine Brault confirme. « Au Marché de la Poésie (Paris) de juin, j’inviterai mes amies éditrices du Soupirail et de Phloème. C’est sur ce genre d’événement qu’il faut capter le public, ou dans les nouveaux lieux qui accueillent la poésie. » Salons, festivals, espaces de performance : les lieux de poésie se multiplient (lire en page 12). Sur le modèle de La Factorie, née en 2016 à Val-de-Reuil, Adeline Miermont-Giustinati s’emploie à créer une Maison de poésie dans le Cotentin. Sans parler de ces bistrots, au Havre, à Fécamp, à Granville, où slam et poésie chantée font vibrer soucoupes et sous-bocks. L’avenir des poètes ne semble pas maudit.

Repères

Les revues spécialisées en Normandie

Sources : Normandie Livre & Lecture et Ent’revues

Retrouvez tous les acteurs du livre sur l’annuaire en ligne de Normandie Livre & Lecture

Découvrez la chronique de l'anthologie Riverains des falaises des éditions Clarisse.

ÉDITEURS ENGAGÉS

Comme le dit Christophe Manon, publié chez l’éditeur caennais Nous (Benoît Casas), « la poésie s’appuie sur un tissu de très petites maisons qui publient peu d’ouvrages à l’année mais sont portées par de vrais passionnés ». Exemple avec La Feuille de Thé, maison fondée par Ghislaine Brault dans le pays d’Auge en 2005, avec une vingtaine d’auteurs publiés en 17 ans (28 recueils au total). Comme chez ses consœurs, enthousiasme et engagement sont déterminants. « Certains de nos livres sont fabriqués au plomb, comme au XIXe siècle, parce que la poésie, c’est aussi produire de beaux objets », complète l’éditrice, qui diffuse ses livres elle-même. Parmi ses auteurs phares, citons Françoise Coulmin (prix Antonio-Vicario 2012), dont elle a publié quatre recueils. Récemment, un autre de ses titres, Comme passe le vent, de Philippe Pujas, a obtenu le prix Verlaine de la Maison de poésie Émile-Blémont.

 

Économiquement fragile
Emmanuel Caroux © Lurlure

« J’aime traquer le texte rare. » Le jeune éditeur Emmanuel Caroux témoigne aussi de cette passion. Il a créé Lurlure en 2016 tout en conservant une activité parallèle, « parce que le modèle économique est fragile ». Il publie 7 ou 8 livres par an, dont deux tiers de poésie, diffusés via un réseau de librairies indépendantes en France, Belgique et Suisse. Emmanuel Caroux vit son projet « comme un engagement à faire découvrir des textes et accompagner des auteurs… ». Il publie depuis peu la mythique revue TXT, et veut « réfléchir à d’autres formes de diffusion ». Lui aussi regarde de près comment le digital peut servir la cause des auteurs et des mots. Lurlure est présent sur Facebook et va s’aventurer sur Instagram. « La création est soutenue, conclut-il, en témoignent les nombreuses revues comme Décharge, TXT, Catastrophes… Et de nombreuses se créent en ligne. C’est un signe de vitalité, un encouragement pour nous. »

Retrouvez les versions longues des interviews de Christophe Manon, Ghislaine Brault et Emmanuel Caroux

LIEUX DE MOTS

Scènes ouvertes au fond des bistrots, ateliers en maisons de poésie, résidences de création (Villa La Brugère, Moulin Blanchard…), les lieux où la poésie éclôt, se déclame ou se chante se multiplient. « Ils font sortir la poésie des livres, la rendent plus accessible », glisse Patrick Verschueren, à La Factorie, Maison de poésie, installée à Val-de-Reuil. « Une maison de poésie, ça ne sert à rien, ose-t-il. Sauf à susciter une demande. Ici, en six ans, nous avons vérifié qu’il y avait des attentes côté public et poètes. »

La Factorie à Val-de-Reuil, première maison de poésie de Normandie, fait des émules © La Factorie

« La poésie comme matériau »

Lieu de création, de sensibilisation et de diffusion, La Factorie accueille aussi « des artistes de théâtre, de cirque ou de chanson, utilisant la poésie comme matériau ». Elle a reçu 27 auteurs en résidence cette année, « chacun consacrant environ 20 % de son temps au territoire, notamment auprès des scolaires ». En janvier, lors du festival Les poètes n’hibernent pas, 12 auteurs ont rencontré 45 classes dans la région. Sa maison d’édition, Les carnets du dessert de lune, a déjà publié 150 titres. Elle a essaimé à Rouen, avec la Maison de la Poésie et de l’Oralité, présidée par Alexis Pelletier (une dizaine de rencontres et plusieurs résidences).

Aujourd’hui le lieu veut développer ses relations avec d’autres, à Regnéville-sur-Mer, au Québec, à Rouen ou dans le Cotentin… où une autre maison de poésie prend forme, sous l’impulsion de l’autrice Adeline Miermont-Giustinati. Le lieu totem du projet est le moulin Marie-Ravenel (Vicq-sur-Mer), du nom d’une meunière-poétesse du XIXe. « Ce sera son premier lieu d’accueil, dès cet été, avec des ateliers, des balades d’écriture, des lectures, précise-t-elle. Mais j’aime l’idée d’une maison nomade. L’accent sera mis sur les voix féminines et la forme sonore, avec la création d’une webradio ou de podcasts poétiques.»

« À sa création, notre maison de poésie a pu soulever du scepticisme, ajoute Patrick Verschueren, mais nos réponses sur des enjeux comme l’alphabétisation et la lecture à haute voix ont convaincu. » La Factorie est aujourd’hui soutenue par l’État, la Région, le Département et la Ville de Val-de-Reuil. À Caen aussi, son exemple donne des idées, avec un projet similaire en gestation. À suivre.

 

Retrouvez les versions longues des interviews de :

« Perdre pied dans la langue »

Alexis Pelletier, âgé de 58 ans, auteur d’ÉrotoMlash (éd. Rougier V.), installé près de Rouen, il dépasse l’écriture seule et emmène volontiers sa poésie vers les arts plastiques, la danse et la musique contemporaine.
Alexis Pelletier © D.R

« Le fait de travailler avec des danseurs et danseuses, avec des musiciennes et des musiciens, qui composent ou qui interprètent ce qui est joué, avec des plasticiennes et plasticiens, avec des comédiennes et comédiens, permet d’aller vers l’autre, de découvrir d’autres univers et, ainsi, de remettre en cause habitudes et certitudes. Ce sont des expériences très enrichissantes, y compris dans les hiatus que des esthétiques immanquablement différentes peuvent produire. Cela conduit, pour moi, à perdre pied dans la langue. Et surtout à quitter une attitude qui peut être trop asservie à ce qui est uniquement rationnel. Quand un compositeur comme Dominique Lemaître me dit qu’il veut un texte pour tels instruments ou bien qu’il souhaite que je mette les mots que je veux sur une partition déjà composée, c’est toujours quelque chose de neuf. La contrainte fait que les mots peut-être acquièrent une présence physique encore plus grande. C’est pour moi salutaire. Je suis friand de ces rencontres et prêt… à étudier toutes les propositions ! »

Retrouvez la version longue de l’interview d’Alexis Pelletier

EN CHAIR ET EN NOTES

« J’adore les livres, mais certaines formes de la poésie peuvent s’en émanciper. » Entre performance et méditation active, la poésie de Marion Renauld prend corps dans une machine à écrire, qu’elle installe dans la rue ou au cœur d’un quartier, au plus près des habitants. Son terrain de jeu : « Les formes spontanées... » Marion Renauld frappe les mots et les offre à ceux qu’elle croise. « Inscrire l’écriture au quotidien, et publiquement, change notre regard sur la réalité. » Ses poèmes, toujours inédits, peuvent se lire sur les murs (délicatement patafixés), ou même sur des billets de banque. « Ce genre de poésie performative, à la fois politique et populaire, parle à tous, sans question d’accessibilité. » Et elle « plaît au public », commente Patrick Verschueren, qui a accueilli Marion à La Factorie (1).

Magie du moment

Ainsi, le son, la voix, la mise en musique sont les nouveaux habits du genre. Publié depuis près de vingt-cinq ans, Christophe Manon diffuse aussi à haute voix. « Je lis mes textes en public depuis une dizaine d’années. Mon premier geste reste l’écriture, mais ce rapport direct qui raccroche à la tradition des troubadours est une caractéristique intéressante de la poésie contemporaine. J’aime aussi allier les mots et la vidéo. »

La « mise en spectacle » peut d’ailleurs aider à la reconnaissance d’un texte. L’éditrice Ghislaine Brault (La Feuille de Thé) l’a constaté avec J’aurais préféré que nous fassions obscurité ensemble, de Claire Audhuy, dédié à son mari, mort au Bataclan en 2015. « Le recueil
a été adapté et joué en Avignon l’été dernier. La pièce a eu du succès, ce qui a relancé les ventes du livre. »

Au Havre, la poésie rencontre la musique sur des scènes ouvertes de plus en plus actives.

Poésie chantée à La Causerie, au Havre © DR

L’auteur, chanteur et guitariste Grégoire Théry (alias « Havres »), installé là-bas depuis peu, y voit éclore un réseau où s’écoute une poésie chantée ou déclamée : La Causerie, Le Bistrot, Les Yeux d’Elsa (café littéraire), la galerie Incarnato… « Pas une semaine sans une scène ouverte de slam ou de poésie orale. Je suis stupéfait par la diversité des profils, des classes sociales, des styles… Pour moi qui pratique une poésie chantée, c’est très stimulant. » Une fois par mois, toute une bande d’auteurs havrais « monte » vers Fécamp, au Bar Zoo, « où l’on en croise encore d’autres venus du pays d’Auge et même de Granville ». Tout ce petit monde envisage d’ailleurs de créer un festival de l’expression poétique orale, au Havre, dès octobre prochain, et une édition plus régionale en 2023.

Comme le souligne Marion Renauld, « l’idée c’est d’être en présence, plus que d’être en représentation. Les gens sont d’autant plus touchés qu’on réduit la distance. Et il y a la magie du moment unique ».

(1) Son interview vidéo sur la chaîne YouTube « La Factorie Maison de Poésie », playlist "Rencontre en poésie"

Retrouvez Grégoire Théry sur Facebook : Havre Poésies

« Jouer avec les mots pour les voir autrement  »

Yo du Milieu Le Caennais Yohan Leforestier, alias Yo du Milieu, se définit comme un « crieur public », qui mêle poésie et slam avec arts de la rue et théâtre.
© DR

« Je suis un diseur de mots, j’aime les faire sonner. J’aime quand le son fait sens. Avec la poésie, on peut tout se permettre. Une pratique sonore est un bon vecteur de lien avec les mots.

La poésie s’inscrit dans plein de formats différents. Avec le slam, les mots ne dorment pas sur le papier, on les reprend, on ajuste, on relit, on réécrit. J’aime cette dimension artisanale, ce côté “fait main”, parfois directement avec le public. Enfant, je n’ai pas baigné dans les livres, je n’ai pas rencontré le prof de français qui m’a fait flasher. Mais avec San Antonio, le rap, Gainsbourg et Bobby Lapointe, j’ai découvert ce qu’on pouvait faire avec les mots. Jouer avec eux permet de les voir autrement. »

Retrouvez la version longue de l’interview de Yo du Milieu

Libre cour(t) : François David

Une page blanche, une inspiration... Dans chaque numéro de Perluète, un auteur invité prolonge le thème du dossier du mois.

« Je savais combien, en poésie, les mots souvent nous relient. Mais qu’ils puissent même ranimer, et que cela se soit passé sur les réseaux sociaux, je ne m’y étais pas attendu. Comme une évidence s’est imposée l’envie de le " partager ". »

C’était le premier confinement. Jour après jour, je lisais des extraits de mes recueils poétiques sur Facebook et sur Instagram. À côté des  et des , je vis le message d’une personne demandant comment avoir l’un des ouvrages*. Je lui indiquais des librairies de sa ville, mais elle me répondit sèchement qu’elle savait bien où on achetait un livre. Seulement, elle n’avait pas de quoi le payer. Et les textes qu’elle avait entendus l’avaient touchée d’une manière si particulière. Quasi vitale. Elle avait besoin de ce livre.

Le jour où je lui remis un exemplaire, elle me raconta les terreurs qu’elle avait endurées les dix dernières années. Presque tout s’était effondré. Or les livres continuaient à compter comme avant. En revanche, elle ne parvenait plus à les lire. Après ce qu’elle avait subi, elle ne pouvait plus se concentrer. Mais soudainement, sur Internet, elle avait entendu ce texte lui parler tellement fort. Il lui avait semblé qu’elle pourrait le lire aussi avec les yeux. Et après, peut-être, à nouveau aussi relire les autres livres. Comme une clé pour rouvrir ce qui avait été violenté. Cadenassé.

J’ai pensé à Apollinaire qui, sous les obus qui vont l’atteindre à la tête, réussit à s’émerveiller : « Que c’est beau ces fusées qui éblouissent la nuit ! » Au mourant, dans un camp sinistre de mort, auquel Jorge Semprun murmure des vers comme dernier viatique apaisant le terme du chemin. À Baudelaire et son rêve d’un vitrier qui, en dépit de tout, ferait « voir la vie en beau ».

La puissance étonnante de la poésie. Sa présence et sa grâce. N’importe où. Par tous les pores. Toutes les ondes. Et alors, sur la Toile aussi, la scintillation des étoiles.

*Et c’est moi que je vois, Éditions du Vistemboir.

Découvrez une chronique de Quatre pousses de riz vert, de François David (éd. La Feuille de Thé)

 

François DAVID © DR

Bio express

François David vit en Normandie, dans le Nord-Cotentin, au « bout du bout » pour reprendre un de ses titres.

Il a publié plus de cent livres, en des genres divers, dans de nombreuses maisons d’édition. Plusieurs de ses textes ont été portés au théâtre, en France et à l’étranger. Ses livres sont traduits dans une quinzaine de langues (dont le danois, le chinois, le coréen, l’italien, le lituanien, le catalan... et l’espéranto).

 

Découvrez des lectures d’extraits d’œuvres de poètes normands

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[Dossier] Salons, nouvelles dimensions https://perluete.normandielivre.fr/dossier-salons-nouvelles-dimensions/ Fri, 28 Jan 2022 13:57:09 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=3541 Les manifestations littéraires prennent du poids dans le paysage culturel. Points de rencontre vibrants entre les auteurs, les libraires, les éditeurs et le public, elles étoffent leur programmation et repoussent leurs limites anciennes.

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Les manifestations littéraires prennent du poids dans le paysage culturel. Points de rencontre vibrants entre les auteurs, les libraires, les éditeurs et le public, elles étoffent leur programmation et repoussent leurs limites anciennes.
Elles sont aussi des locomotives, qui inspirent des actions tout au long de l’année et soutiennent les auteurs en les impliquant davantage.

Laurent Cauville / aprim

Elles ont leurs propres prix littéraires, organisent des résidences d’auteurs, se transforment parfois en librairie géante dans une ambiance de dédicaces ou proposent de refaire le monde au fil de tables rondes. Elles sont « salon » ou « festival » du livre, durent une journée ou plusieurs semaines... Les manifestations littéraires ont aujourd’hui de multiples visages et leur nombre a gonflé ces vingt dernières années. « On en dénombre près de 80 en Normandie pour 2022, majoritairement portées par des associations. Mais les collectivités ne sont pas en reste pour en faire un temps fort de leur programmation culturelle », situe Sophie Fauché, chargée de projets Librairies et Manifestations littéraires à Normandie Livre & Lecture (N2L).

Des communes de toutes tailles se prennent au jeu. « Ici, c’est devenu un événement marquant de l’année », glisse Élisabeth Belna, présidente de Lire à Pont-L’Évêque. Dans cette ville de moins de 5 000 habitants, ce salon associatif en est à sa sixième édition et a trouvé sa place dans la vie de la cité. Les commerçants et entreprises la soutiennent massivement. Et au-delà de la cinquantaine d’écrivains présents le jour des dédicaces, la manifestation s’est étoffée. « Chaque samedi de septembre, nous programmons des rencontres avec des auteurs et d’autres rendez-vous au long de l’année. »

Une dynamique de diffusion de la lecture

À Darnétal, près de Rouen, NormandieBulle a vu aussi son rayonnement s’étendre depuis sa création en 1996. Ce festival BD a reçu une soixantaine d’auteurs en 2021, dont une moitié de Normands, et attire 4 000 à 5 000 visiteurs sur un week-end. Mais la commune ne souhaite pas se faire dépasser. Elle préfère miser sur les effets vertueux de son événement pour promouvoir la lecture tout au long de l’année, plutôt que chercher à gonfler encore la jauge de l’événement. « Dans le sillage de NormandieBulle, nous développons une dynamique de sensibilisation, notamment à destination des plus jeunes », explique Marianne Auffret, directrice du service culturel à la mairie de Darnétal.

NormandieBulle met en place des actions vers les scolaires, le milieu pénitentiaire (avec le prix Hors les murs) ou encore hospitalier. En s’appuyant sur un réseau tissé patiemment, et grâce au Contrat Territoire-Lecture (convention avec la DRAC depuis 2017), la Ville développe les partenariats avec les auteurs, organise des interventions et des ateliers, ou encore sensibilise les professionnels de la petite enfance à la lecture à voix haute ou à l’utilisation de tapis narratifs… « La BD ou les récits illustrés sont une passerelle idéale pour emmener les plus jeunes vers la lecture. »

« Interroger le monde »

À l'image d'Époque, à Caen, les salons du livre élargissent leurs publics et leurs contenus. © Ville de Caen

À Caen, le festival Époque veut également dépasser la condition de « simple » salon de libraires et d’éditeurs (toujours présente) pour apporter à l’événement une autre valeur ajoutée, mais aussi promouvoir le livre tout au long de l’année. « À travers des rencontres organisées à l’hôtel de ville, Époque est devenu un espace citoyen de débats et de points de vue, où se croisent des regards de romanciers, sociologues ou philosophes. C’est ce que nous voulions : un rendez-vous qui interroge le monde dans lequel nous vivons », illustre Emmanuelle Dormoy, adjointe à la culture à la Ville de Caen. « Le festival a aussi des répercussions tout au long de l’année, par exemple en littérature jeunesse, grâce à des interventions en milieu scolaire. Il a permis de conforter les résidences d’écrivains, par exemple avec l’IMEC. Et nous allons renforcer la démarche en 2022, en supprimant le prix Époque au profit d’une présence accrue des auteurs auprès des publics, pour sensibiliser à l’écriture et à la lecture. »

Expérience incarnée

On le voit, les manifestations littéraires ne se résument plus à ces séances de dédicaces géantes où la rencontre avec l’écrivain a lieu de part et d’autre d’une pile de livres. Le genre se réinvente, soucieux à la fois de soutenir les professionnels de la filière et les auteurs, et de capter un public plus large, en développant l’interactivité ou le spectacle vivant.

Aujourd’hui, les rencontres-débats, ateliers, expositions, jusqu’aux animations ludiques et familiales, fleurissent sur les affiches. « Notre public est friand de toutes ces animations et des spectacles dessinés que nous organisons sous la yourte », illustre Marianne Auffret, à Darnétal.

À Pont-L’Évêque, un auteur vient s’immerger un ou deux jours dans un petit village des environs, à la rencontre du maire et de ses concitoyens, pour en ciseler un texte lu à voix haute par un comédien le jour du salon. « Une manière concrète de créer de la proximité entre habitants et artiste », ajoute Élisabeth Belna, présidente de Lire à Pont-L’Évêque.

À Fleury-sur-Orne, la prochaine édition du festival de polar Bloody Fleury va monter trois scènes, et veut faire frissonner avec ses « Café Crime », soirées spectacles interactives, dont l’une, sur Jack l’Éventreur, sera interdite aux moins de 16 ans.

Beaucoup d’événements littéraires cherchent à offrir ces nouveaux points de rencontre, une expérience incarnée, sensible, vivante, divertissante, qui réduise la distance avec le livre et son auteur. « Le lien direct est essentiel, il permet de désacraliser..., insiste Emmanuelle Dormoy, à Caen. Lors de nos rencontres, le public écoute les auteurs débattre, mais il peut aussi s’exprimer, questionner, ce qui provoque des moments précieux. Sans oublier d’autres formes, comme les lectures théâtralisées. »

En ces temps de distanciation, l’expérience d’un festival « covid-compatible » en version numérique – comme ce fut le cas en 2021 pour Époque – apparaît contre nature à l’élue caennaise, aujourd’hui réticente à renouveler l’expérience. Si le digital peut sauver la rencontre, il ne garantit pas l’émotion. Or c’est aussi ce que cherchent les organisateurs. Offrir des rendez-vous qui nourrissent en chacun de nous le désir de lire.

>>> DEMANDEZ le programme
Toutes les manifestations littéraires 2022
en Normandie sont à retrouver sur www.normandielivre.fr

Repères

74 manifestations littéraires programmées en Normandie pour 2022 :

  • 23 dans le Calvados,
  • 22 en Seine-Maritime,
  • 11 dans la Manche,
  • 8 dans l’Orne.

Chiffre novembre 2021/ Source Normandie Livre & Lecture

Les auteurs acteurs

L’autrice Maud Tabachnik, à Verneuil-sur-Avre, en octobre dernier. © Lire à Verneuil

De plus en plus médiatisés, les auteurs attirent. Déjà iconiques ou encore confidentiels, on attend d’eux plus qu’une séance mécanique de dédicaces. On les croise aussi dans les écoles, ils parlent lors de débats calqués sur les talk-shows télévisuels, s’installent en résidence et aiment tisser une relation suivie avec un territoire. « Le contact avec les auteurs, c’est même l’essence de notre événement », souligne Nadine Jardin, qui préside l’association organisatrice du Salon du livre jeunesse d’Essay, dans l’Orne. Avant le salon du vendredi soir et samedi avec le public, les auteurs invités sillonnent la région pendant deux jours, à la rencontre de plus de 1 000 scolaires, de la maternelle au lycée. « Au total, 7 auteurs pour 49 rencontres viendront en mars prochain. C’est un moment fort dans les écoles, le point d’orgue d’un travail pédagogique commencé plusieurs mois plus tôt. » Le salon va garder ce cap.

À Fleury-sur-Orne, le festival du polar Bloody Fleury (25-27 février 2022, lire en page 5) mise également sur leur présence, avec cette année le choix assumé des têtes d’affiche. « Vingt auteurs attendus, dont Michel Bussi, Hannelore Cayre et Caryl Férey, détaillent Jérôme Félix et Anne Marie-Vallée, à l’organisation. La liste est moindre que les années précédentes, mais de tels noms vont faire rayonner plus loin le festival. » Bloody Fleury, en maintenant également la gratuité, espère doubler son affluence en 2022 (1 300 visiteurs en 2019).

La rémunération, une évidence

Pour le festival Époque de Caen, accueillir des auteurs revient aussi à « les accompagner en les valorisant et les soutenir en les rémunérant », insiste Emmanuelle Dormoy, élue à la Culture de la ville. Ici comme ailleurs, le temps des dédicaces non rétribuées, au motif de la vitrine promotionnelle, est révolu. « C’est un budget, mais c’est essentiel », rappelle Nadine Jardin, à Essay, qui consacre environ 13 000 € à l’accueil et à la rémunération des intervenants. D’où un montage financier original, dans lequel les subventions sont complétées par une participation non négligeable des établissements scolaires (4 € par élève impliqué).

À l’heure où le revenu des auteurs est fragilisé, la prise de conscience sur la nécessaire rémunération est enclenchée. Des structures représentatives comme le Centre national du livre accordent aujourd’hui leur soutien à des manifestations à la condition de rémunérer. En 2019, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, avec la SGDL, a annoncé une revalorisation de 3,45 % des tarifs d’intervention (source ActuaLitté). Et les tarifs préconisés par le Centre national du livre, la SOFIA (Société française des intérêts des auteurs) et la SCAM (Société civile des auteurs multimédia) s’accordent avec ceux de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse : 226,82 € net minimum, pour une demi-journée de 2 interventions ; 375,98 € net minimum, pour une journée de 3 interventions (source SGDL).

Une manière de reconnaître qu’au-delà du temps de pure création, le travail d’un artiste s’étend au partage de l’œuvre avec le public.

« Les bénévoles sont des ambassadeurs »

Jérôme Rémy © Franck Castel

Ainsi Les Boréales, dont le succès repose en partie sur un noyau d’une vingtaine de fidèles très impliqués. « Dès le début de l’aventure, nous voulions qu’ils aient des responsabilités, en faire des ambassadeurs auprès des auteurs », se souvient Jérôme Rémy, directeur artistique des Boréales. « Nous avons par exemple cherché à recruter des bénévoles déjà impliqués dans d’autres manifestations littéraires, sachant comment s’organise ou fonctionne un tel événement et capables de s’exprimer en anglais, car nous voulions les placer au plus près des auteurs. »

Au fil des années s’est constituée une équipe de grands lecteurs de littérature nordique, très impliqués dans la tournée des auteurs en région.
Ils les accueillent, les guident sur la route de leur tournée, de bibliothèque en librairie ou centre de détention. Ils leur font découvrir et aimer la région. « Ce qui est très beau, ce sont les liens qui en découlent. Certains font le voyage inverse, à l’invitation de leurs amis auteurs… »

Ils sont également associés aux préparatifs et à la programmation très en amont. « Dix mois avant le festival, nous échangeons déjà avec eux, ils reçoivent les livres et les textes très tôt et nous tenons compte de leurs affinités… Ils choisissent là où ils veulent aller et avec qui. »

 

>>> Retrouvez l’intégralité de l’interview de Jérôme Rémy, sur la singularité des Boréales

« La Covid ne nous a pas endormis »

Gaëla Michel, Présidente du Festival du livre de jeunesse et de bande dessinée de Cherbourg © DR

« Pour beaucoup d’événements comme le nôtre, la crise sanitaire n’a pas été un coup d’arrêt. Pas besoin de relancer la machine auprès des bénévoles, la Covid ne nous a pas endormis.

Nous sommes une équipe restreinte, d’une douzaine de personnes, et le contexte nous a donné du travail. Si notre édition 2020 a été annulée, nous nous sommes tout de suite projetés sur 2021. La préparation a été assez chronophage, compte tenu de toutes les incertitudes. D’ailleurs, l’an passé, nous avons pu maintenir nos 50 rencontres avec des enfants et adolescents (de la crèche au lycée) et une quinzaine d’auteurs, mais nous avons dû renoncer à accueillir le public sous chapiteau. Enfin, nous avons le souci de nous réinventer, ce qui occupe l’esprit, et ce sera encore le cas en mai 2022, avec un festival organisé pour la première fois dans l’espace René-Le Bas (ancien hôpital militaire). Un site exceptionnel où auront lieu à la fois les spectacles, les expos, les ateliers, le salon et même l’hébergement des auteurs… Bref, l’équipe ne s’est pas refroidie, elle est prête pour la dernière ligne droite ! »

Le poids du thème

© DR

Les manifestations littéraires normandes sont surtout généralistes (45 sur 74 programmées en 2022), loin devant les rendez-vous spécialisés BD (9), jeunesse (7), polar (6), bibliophilie (4), écriture et lecture (2) et poésie (1). Pour elles, le choix d’une thématique peut s’avérer payant.

« Un thème fait gagner en visibilité, retient Martine Anfray, présidente de l’association organisatrice du salon Lire à Verneuil, adepte du thème ces dernières années. Le nôtre se décide neuf mois avant le salon, et tout se met alors en place autour de lui : les invités, les choix de livres, la recherche de partenaires culturels pour élargir la programmation à des animations, etc. »

Créé en 2010 sous l’impulsion de la journaliste et biographe Geneviève Moll, décédée depuis, Lire à Verneuil a vu son audience exploser depuis 2019. « Notre thème reste assez large pour ne pas nous enfermer et rendre compliquée la programmation des animations parallèles à la MJC et dans les médiathèques. » Après la musique en 2018 et l’espace en 2019, la thématique polar en 2021 avait l’autrice Maud Tabachnik pour tête d’affiche. « Le succès a été énorme. »

« Dérive heureuse »

Mais le caractère d’un événement n’est-il pas ailleurs ? Dans une sorte de génétique impalpable, forgée au fil des années, alchimie entre une démarche et un territoire. On y pense à la lumière de ce qu’est devenu le festival Les Boréales, « à l’origine petit salon de littérature nordique créé à Caen, mais dont la personnalité doit beaucoup à la tournée d’auteurs étrangers partout en Normandie, rappelle Jérôme Rémy, son directeur artistique. Les bibliothèques se sont piquées au jeu. Elles ont constitué en 30 ans un fonds colossal d’ouvrages nordiques. Et en parallèle, le festival s’est élargi à tous les genres, comme ça se passe en Scandinavie, où tout participe d’une éducation culturelle globale. Cette programmation, qui va du livre au cirque, via la photo ou l’opéra, permet d’embarquer le public dans une aventure de dix jours où chacun va picorer dans une sorte de dérive heureuse et enchaîner les expériences ». Permettre l’inattendu, de quoi forger une réputation.

Libre cour(t) : Pierre Elie Ferrier, dit Pef

Une page blanche, une inspiration... Dans chaque numéro de Perluète, un auteur invité prolonge le thème du dossier du mois.

« En 40 ans de rencontres, je ne peux me souvenir de chacune ou chacun de mes lecteurs. Mais Jean Viacroze, quand je pense à ces années de dédicaces, arrive largement en tête du peloton... »

Le petit chat est mort

Lors d’une séance de dédicaces, une dame m’avait demandé si je voulais rencontrer un homme très âgé, habitant tout près de ce Salon du livre de Tulle. Non, il ne pouvait pas se déplacer. Il s’agissait d’un homme âgé de 103 ans à qui on avait offert Un violon dans la nuit, texte de Didier Daeninckx. J’en avais signé les dessins.

Cet homme avait été bouleversé par ma vision de déportés entassés dans un wagon dont, par pur artifice, j’avais supprimé le toit. Il s’était reconnu et tenait à me rencontrer.

Plantant là mes lecteurs, je me suis précipité chez lui. Il m’a aussitôt tutoyé, me confiant qu’il faisait partie, en août 1944, des otages de Tulle, en Cor- rèze. Il avait pour nom Jean Viacroze.

Ce jour-là, il devait être pendu, lui aussi, à un poteau d’éclairage public. Mais les SS, un instant distraits, le poussèrent dans un train de marchan- dises, avec cent futurs déportés par wagon. Direction Dachau. Sur 2 500 personnes 900 survécurent.

Jean resta quatre semaines à Dachau, puis fit partie d’un convoi de déportés fuyant à pied, avec leurs gardes, la progression des Américains.

Après notre rencontre il m’écrivit souvent, commençant toujours ses lettres par : « Ami entends-tu...? » Sur l’enveloppe il dessinait un petit chat.

Un jour je reçus une lettre de la dame m’ayant permis de rencontrer Jean. Pas de petit chat sur l’enveloppe. Jean avait quitté ce monde. Ne me reste de lui qu’une peinture à l’huile pouvant être qualifiée d’abstraite. Une large traînée rouge sang, dans sa partie inférieure, tient lieu de signature.

PEF
Décembre 2021

PEF © Gallimard

Bio express

Pef est né en 1939. Il a été journaliste, essayeur de voitures de course ou responsable de la vente de parfums pour dames, avant de publier son premier livre, Moi, ma grand-mère, à l’âge de 38 ans. En 1980, il invente le personnage du prince de Motordu. La Belle Lisse Poire du prince de Motordu, la même année, est son plus beau succès, vendu à plus d’un million d’exemplaires. Pef utilise deux plumes : l’une pour écrire, l’autre pour dessiner. Il a déjà signé plus de 150 ouvrages, graves, drôles, tendres... (source Gallimard)

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[Dossier] Étudiants en écriture https://perluete.normandielivre.fr/dossier-etudiants-en-ecriture/ Fri, 01 Oct 2021 13:29:57 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=3200 Dix ans après sa création, le master Création littéraire du Havre continue d’accroître son rayonnement. Ce cursus hors normes voit éclore de jeunes talents. Est-ce pour autant un visa pour être édité ?

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Dix ans après sa création, le master Création littéraire du Havre continue
d’accroître son rayonnement. Ce cursus hors normes voit éclore de jeunes talents,
comme dernièrement Shane Haddad (Toni tout court, chez P.O.L), Camille Reynaud (Et par endroits ça fait des nœuds, chez Autrement) ou prochainement Zoé Cosson (Aulus, chez L’Arbalète/Gallimard). Est-ce pour autant un visa pour être édité ?

Laurent Cauville / aprim

© DR

Premier du genre en France à sa création en 2012 (1), le master Lettres Création littéraire du Havre est vite sorti de la confidentialité. Les 15 places à pourvoir chaque année suscitent aujourd’hui plus de 130 candidatures, de toute la France voire de l’étranger.

Un cursus pour apprendre à écrire un roman ? Ce n’est pas la promesse de ce master, assurent ses créateurs. « C’est avant tout un temps d’accompagnement à l’éclosion d’un projet, insiste le poète Frédéric Forte, à la tête du cursus depuis l’an dernier. Le master propose un environnement propice pour libérer une parole créative, stimuler, donner confiance. »

Creative writing à l’anglo-saxonne ?

À ceux qui pourraient craindre un « copier-coller » de techniques de creative writing à l’anglo-saxonne et un catalogue de formules prêtes à l’emploi, Frédéric Forte répond encore : « Ce master n’abreuve pas de recettes, mais il accompagne les potentialités créatives de ses étudiants, avec un suivi très personnalisé. »

Ses étudiants ? De jeunes auteurs, créateurs en pleine maturation, déjà porteurs d’un projet littéraire. Ils ont un désir profond d’écrire, d’être publiés, d’être écrivains. Ils sont triés sur le volet. « Sur les 139 candidatures reçues pour la rentrée 2021, 32 ont été retenus pour un entretien de présentation de leur projet et de textes personnels, complète Frédéric Forte. C’est pour nous essentiel de saisir une intention et une motivation. » Au bout de la sélection, il n’en reste que 15.

D’autres façons d’écrire

Pendant deux ans, l’accent est mis sur la pratique et la rencontre, notamment avec des professionnels, en premier lieu des écrivains. En plus d’enseignements littéraires théoriques et d’enseignements artistiques, le parcours propose beaucoup de temps d’écriture en ateliers, « avec des approches qui vont amener chacun à explorer d’autres façons d’écrire. Sans parler des master class, où ils rencontrent des professionnels du livre ». Deux années intenses, comme une suite d’expériences. Un bain stimulant, et les contraintes d’un calendrier serré...

« Le contraire du formatage »

Pour Shane Haddad, diplômée en 2020 et rapidement publiée chez P.O.L (lire par ailleurs), le master havrais a été un tournant. « Le cadre nous donne la légitimité d’écrire. C’est un vecteur de parole, donc de libération. » Une fenêtre ouverte aussi vers d’autres formes d’écriture ? « On ne nous donne pas d’outils tout faits. Éventuellement quelques conseils. C’est une mise en lumière de nos singularités. » Comme beaucoup d’autres étudiants, Shane Haddad a aussi apprécié la dimension collective, quasi communautaire du master. « Il y a une mise en dialogue de tous les étudiants. Cette diversité, c’est le contraire du formatage. »

Frédéric Forte renchérit : « Les étudiants doivent échanger sur leur travail. Untel fait de la poésie contemporaine, un autre a un projet romanesque. Quelquefois cela produit des détours ou des changements de direction et c’est magnifique. » Le pari est d’amener chacun à développer progressivement sa propre écriture. « Ce dispositif permet d’oser, et ça marche. Tous les genres sont permis, même les formes expérimentales, ce qui peut faire naître des objets inclassables. »

Un accompagnement et une fenêtre vers l’édition

Au fil de ce parcours intense, où chacun va chercher loin en lui, les occasions de se perdre sont nombreuses. Mais chaque étudiant est accompagné individuellement dans l’écriture de son projet littéraire par un écrivain référent. Lectures, échanges d’impression, conseils sur le projet. « Le référent est comme un transmetteur d’énergie et un repère, estime Frédéric Forte. Dans les moments difficiles, il est là aussi pour rassurer, rappeler que le doute est inévitable. »

Enfin, le cursus est aussi une fenêtre ouverte sur le milieu du livre. Un potentiel accélérateur de rencontres et l’occasion pour certains de se faire remarquer. Phénomène de la rentrée littéraire 2020, Fatima Daas (2), diplômée du master de Paris 8 (créé après celui du Havre), raconte qu’elle a rencontré son éditrice lors de sa soutenance. Pour Shane Haddad, « le fait d’avoir fait le master du Havre a clairement accéléré ma rencontre avec mon futur éditeur, parce qu’il a rapidement entendu parler du texte que j’ai présenté en fin d’études ».

« C’est notre rôle de favoriser, si on le peut, le lien avec un éditeur », résume Frédéric Forte, qui s’empresse d’ajouter : « Ce n’est pas un diplôme qui va séduire un éditeur, c’est la qualité du manuscrit que vous lui proposez. »

 

(2) Fatima Daas a publié La Petite Dernière (Notabilia, 2020).

« Pas un sésame pour l’édition »

« On nous demande parfois si ce diplôme revient à un passeport pour l’édition.
Je réponds non. Pour le monde du livre, les choses sont claires, un éditeur face à un manuscrit sans intérêt pour lui ne va pas le publier sous prétexte qu’il serait tamponné “Master”. Il n’y a, a priori, pas de plus-value à éditer un “diplômé”.
C’est dans le texte qu’est la qualité, l’éditeur écoute ses attentes et ses émotions. Simplement, de tels parcours de formation permettent à de jeunes auteurs d’explorer, de progresser et peuvent leur procurer une certaine exposition. »

>> Retrouvez l’intégralité de l’interview de Frédéric Forte, Directeur du parcours Création littéraire du master

Diplômées et publiées

Elles ont trouvé un éditeur sitôt leur diplôme obtenu en juin 2020.

Pour Camille Reynaud (Et par endroits ça fait des nœuds, Autrement, 2021) et Shane Haddad (Toni tout court, P.O.L, 2021), le master Création littéraire du Havre a été un tournant.

Devenues havraises, elles sont passées en quelques mois du statut d’étudiantes à celui d’écrivaines. En quoi ces deux années ont-elles compté pour elles ?

>>  Lire l’intégralité des interviews de Camille Reynaud et de Shane Haddad 

 


Le parcours du master havrais propose beaucoup de temps d’écriture en ateliers et de rencontres, (ci-contre avec l’écrivain Pierre Senges).

Un master unique en son genre

Le master Création littéraire du Havre a été créé en 2012, sous l’impulsion de Thierry Heynen, (directeur de l’ESADHaR [École supérieure d’art et design Le Havre-Rouen] de 2011 à 2021), avec Laurence Mathey, directrice aujourd’hui de l’option « Lettres » du master, Élisabeth Robert-Barzman et Élise Parré.

Laure Limongi (écrivaine, éditrice) a dirigé l’option « Création » de 2014 à 2020. Le poète Frédéric Forte lui a succédé.

Une dizaine d’enseignants l’animent tandis que d’autres professeurs de l’ESADHaR ou de l’université du Havre s’y intègrent dans le cadre d’échanges transdisciplinaires.

Des auteurs et autrices y enseignent durablement (aujourd’hui Nicole Caligaris et Frédéric Forte) ou à l’échelle d’une année (François Bon en 2012, Arno Bertina en 2013, Philippe Adam en 2014, Pacôme Thiellement en 2016…).

LE CURSUS en bref
  • Master 1: tronc commun études littéraires et pratiques d’écriture, élaboration du projet de création littéraire dès le premier semestre, participation à des workshops…
  • Master 2 : une année moins chargée en enseignement pour consacrer plus de temps au projet de création, à des séminaires et à des workshops.

>>> Le cursus complet sur : crealit.fr > rubrique Cursus

Double diplôme

Même si d’autres masters de création littéraire sont apparus depuis (1), celui du Havre reste unique en raison de sa cohabitation entre école supérieure d’art et université.

Une forte proximité concrétisée depuis cette année par un double diplôme unique en France. La formation permet en effet d’obtenir, en sus du master universitaire, un DNSEP (Diplôme national d’expression plastique) Art mention Création littéraire.

(1) Des diplômes similaires ont été créés à Paris 8, Clermont-Ferrand, Toulouse et Cergy.

Un répertoire des métiers du livre

Normandie Livre & Lecture a contribué à la réalisation du guide Formations aux métiers du livre, édition mise à jour cette année. Si les métiers du livre vous intéressent, ce guide est indispensable. Ce répertoire très complet recense les principales formations disponibles partout en France, la diversité des formations proposées ne permettant pas l’exhaustivité. Elles sont classées par niveaux de diplôme et par régions. Pour la Normandie, ce guide propose près de 30 formations, dont bien sûr le master Création littéraire du Havre.

>>> Télécharger ce guide

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[Dossier] La culture fend les murs https://perluete.normandielivre.fr/dossier-la-culture-fend-les-murs/ Mon, 17 May 2021 08:04:22 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=2879 En Normandie, le dispositif Culture-Justice permet de diffuser la culture auprès de 5 000 personnes, majeures et mineures, placées « sous main de justice », essentiellement des détenus en prison. Un levier qui fait ses preuves, pour freiner la spirale de l’enfermement et stimuler le processus d’insertion.

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La culture fend les murs

En Normandie, le dispositif Culture-Justice permet de diffuser la culture auprès de 5 000 personnes, majeures et mineures, placées « sous main de justice », essentiellement des détenus en prison. Un levier qui fait ses preuves, pour freiner la spirale de l’enfermement et stimuler le processus d’insertion.

Laurent Cauville  / aprim

© Cyrille Ternon

Lire et sentir, page après page, comme le monde peut s’élargir. Dessiner, pianoter ou slamer et s’extraire des coursives et des cris de la promenade. Vibrer un après-midi de concert, dans la salle polyvalente d’un centre de détention... Parce qu’aujourd’hui, en France, la culture est reconnue comme élément clé du parcours d’une personne détenue, les programmes « culture-justice » se développent en région. Cela donne une offre foisonnante, de l’aménagement d’un petit point lecture à une résidence d’artiste, en passant par l’organisation d’un spectacle. En 2019, on dénombrait ainsi 133 projets menés en Normandie (1).

« Tellement facile de se perdre… »

En France, l’acte de naissance de cette politique remonte aux années Lang-Badinter, en 1986. « La culture est un droit pour tous, c’est donc d’abord un fort enjeu de société », rappelle Nicolas Merle, chef de bureau des politiques interministérielles au ministère de la Culture. « Ensuite, l’expérience le démontre, c’est un vecteur essentiel dans le parcours d’insertion. »

Pour quelqu’un qui passe plus de vingt heures par jour en cellule, une pile de livres à disposition ou un cours de guitare sont aussi des moyens de rester debout. Ce que confirme Jean, détenu à Caen (lire en page 12) : « La culture m’a sauvé. Des activités comme la lecture ou la musique m’ont permis de mieux me connaître. C’est tellement facile de se perdre en détention... »

« Une volonté de qualité… »

La Normandie (10 établissements pénitentiaires) est plutôt bonne élève. Personnels pénitentiaires, intervenants culturels, milieu éducatif, composent un écosystème bien en place. « La dynamique fonctionne », confirment Mathilde Besnard et Laurent Brixtel, chargés de projet « Culture-Justice » à Normandie Livre et Lecture (N2L) depuis 2018. « Le dispositif vit et se développe, avec un engagement des pouvoirs publics et un bon soutien du monde culturel. »

Salles de spectacle, artistes, libraires, bibliothécaires... Partout où se trouve un établissement pénitentiaire, des partenaires culturels extérieurs s’impliquent et des actions émergent. « On constate en Normandie une bonne implication des services “culture et justice” de l’État, bien prolongée sur le terrain par Normandie Livre et Lecture », observe Nicolas Merle, depuis Paris.

À Caen, Karine Vernière, directrice du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du Calvados, confirme : « Je remarque une grande variété des propositions et une bonne implication des acteurs de la culture, avec la volonté de faire de la qualité. Il y a de bons coordonnateurs, des actions de qualité, et finalement des budgets. C’est un cercle vertueux. »

Reconstruction

Au fil des actions, des ateliers, des résidences d’artistes, la pratique infuse auprès de tous les publics, des mineurs placés en centres éducatifs aux adultes en longues peines. « Une activité culturelle permet d’agir sur des leviers importants comme l’estime de soi, le rapport au corps, l’assiduité. C’est un facteur de reconstruction de la personne, rappelle Laurent Brixtel. Le dispositif permet à chacun de se faire une expérience de la culture par la pratique. »

Dans cette mécanique sensible, les coordonnateurs culturels en milieu pénitentiaire (8 en Normandie), apparus en 2009, sont une courroie essentielle (lire aussi page 13). Au contact quotidien avec le monde carcéral, ils façonnent la programmation, mettent de l’huile dans les rouages, relient le dedans et le dehors.

Pour les bibliothèques pénitentiaires aussi, la région affiche un bon bilan (voir Repères). « Mais le plus notable, c’est l’amélioration des conditions d’accès (hors Covid), de la qualité des ouvrages et des locaux », souligne Mathilde Besnard.

© Cyrille Ternon

Montée en gamme dans les bibliothèques

« En prison, 90 % du temps n’est qu’ennui », rappelle ce détenu au Havre (lire aussi page 12), devenu auxiliaire de bibliothèque. Comme lui, ils sont 20 aujourd’hui sous contrat de travail (20 à 24h/semaine) à tenir la bibliothèque à l’intérieur de la prison.

Un métier pour contredire la spirale de l’enfermement. Lire et faire lire, pour tenir, et même pour grandir. « La bibliothèque est un rayon de soleil. Plus la situation est difficile, plus le livre est libérateur », ajoute-t-il. « Aujourd’hui j’entretiens, je classe, j’organise... Je fais le lien entre le livre et le détenu. Je n’y connaissais rien. Les livres étaient à même le sol, il n’y avait pas d’informatique. Un gros travail a été fait. J’ai appris à utiliser un logiciel, avec l’appui de ma coordonnatrice, que je tiens à remercier. »

Ainsi, d’année en année, le nombre de détenus formés au métier d’auxiliaire-bibliothécaire progresse. Leur travail, en lien avec leur coordonnateur culturel, façonne des lieux mieux adaptés. Formation, aide au catalogage, conseils en aménagement, prêts, animations... Dans 90 % des établissements, les bibliothèques publiques interviennent et contribuent à la montée en gamme. Mais des faiblesses perdurent. « La fréquentation reste inférieure à la moyenne et l’offre n’est pas toujours adaptée aux attentes des personnes détenues », tempère Mathilde Besnard.

Beaucoup de freins restent à lever. C’est le sens du projet Passerelle(s), « pensé pour permettre à chacun de trouver une offre de lecture lui correspondant ». Porté par N2L, avec les bibliothèques publiques, ce dispositif prévoit l’acquisition de documents ainsi que des actions culturelles et de formation auprès des adultes et des mineurs placés sous main de justice. Le travail continue.

(1) 94 projets cofinancés par la DRAC ou la Région (pour majeurs et mineurs)
+ 39 projets financés directement par le ministère de la Justice.

Qui fait quoi ?
En Normandie, le programme Culture-Justice bénéficie du soutien de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP), la Direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse (DIRPJJ) et de la Région. Porté par Normandie Livre & Lecture, il invite partenaires culturels, services et établissements de l'administration pénitentiaire et de la PJJ à construire des projets en partenariat. Les coordonnateurs de l’action culturelle qui travaillent au sein des SPIP sont salariés de la Ligue de l’enseignement de Normandie, sauf pour la Manche, où le Trident (scène nationale) porte le poste.

Repères

19 bibliothèques
dans les 10 établissements pénitentiaires de Normandie : 5 bibliothèques centrales (plus importantes) et 14 de quartier. S’y ajoutent 18 points lecture (simples dépôts de livres). Source : Normandie Livre & Lecture

500
Le nombre de projets soutenus chaque année par le ministère de la Culture dans les établissements,
y compris en milieu ouvert. Source : ministère de la Culture

2 M€
Le budget annuel alloué
à la politique culture-justice par le ministère de la Culture. 75 % à destination de centres pénitentiaires, 25 % vers
les centres pour mineurs. Source : ministère de la Culture

3 500
détenus dans les établissements pénitentiaires de Normandie. S’y ajoutent 1 500 mineurs sous tutelle
de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Source : Normandie Livre & Lecture

Retour d'expérience

Passerelle(s) vers le livre

Au Centre éducatif et d’insertion (CEI) Le Bigard, près de Cherbourg, les 12 résidents mineurs font désormais leur choix de lecture parmi 600 ouvrages récents, contre 50 livres poussiéreux en 2017. Cette métamorphose de leur bibliothèque est l’œuvre de l’éducateur Dimitri Corbet et du dispositif Passerelle(s) Jeunes, porté par Normandie Livre & Lecture. Le budget alloué a permis de réaménager l’espace et surtout d’acheter des livres. « Pour donner le goût de la lecture, il faut des ouvrages qui plaisent ! » Alors Dimitri emmène une fois par mois les jeunes faire leur marché chez Ryst et aux Schistes bleus, deux librairies locales. « Ils choisissent surtout des BD, des mangas, et des docus d’actualité. » Pour Dimitri, ce projet est une réussite quasi inespérée. « On a des jeunes de tous bords, parfois totalement déscolarisés. Le livre joue son rôle apaisant, stimule le lien et la curiosité. »

Une source de rencontres aussi, comme avec l’illustrateur Cyrille Ternon, venu parler une journée de son métier et qui animera en mai trois jours de travaux pratiques au centre. À la clé : une BD entièrement faite par les pensionnaires !  LC, avec Félicien Trollé

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[Dossier] Bonnes nouvelles pour l’écriture https://perluete.normandielivre.fr/dossier-bonnes-nouvelles-pour-lecriture/ Mon, 11 Jan 2021 04:04:37 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=2488 Le concours de nouvelles de Normandie Livre & Lecture passera cette année le cap de sa 15e édition. Avec le temps et une audience en hausse constante, le rendez-vous a confirmé l’intuition de ses créateurs : il y a des écrivains en herbe partout autour de nous. À vos plumes, il reste jusqu’à début mars pour participer à l’édition 2021.

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Le concours de nouvelles de Normandie Livre & Lecture passera cette année le cap de sa 15e édition. Avec le temps et une audience en hausse constante, le rendez-vous a confirmé l’intuition de ses créateurs : il y a des écrivains en herbe partout autour de nous. À vos plumes, il reste jusqu’à début mars pour participer à l’édition 2021.

Laurent Cauville avec Christelle Tophin / aprim

© Emmanuel Lemaire

Le 4 mars prochain, date limite des candidatures, le compteur du concours de nouvelles de Normandie Livre & Lecture (N2L) passera-t-il la barre des 300 textes reçus ? Un record envisageable, si l’on scrute sa courbe de progression depuis 2007. « Au total en quinze ans, environ 2 000 nouvelles ont été écrites dans le cadre du concours, pour presque autant de participants », comptabilise Marion Cazy, chargée des projets événementiels à N2L. Rien que l’an passé, 196 textes concouraient chez les adultes, 56 chez les lycéens.

Ces chiffres confortent le postulat de départ des organisateurs. « Oui, les Français aiment écrire et souvent le font bien. Quand les textes arrivent, je sais qu’il y aura des pépites, tant chez les adultes que les lycéens », souligne Marion Cazy, la première à les lire.

« Nettement moins chronophage »

Genre commercialement confidentiel en France, la nouvelle est paradoxalement très « pratiquée », comme le confirme Martine Delort, du comité de rédaction de la revue Brèves, dans une enquête de Médiapart parue en février 2019 : « La production est plus abondante que jamais. Les ateliers d’écriture […] et les concours de nouvelles se multiplient… » L’autrice Martine Paulais, devenue éditrice spécialisée dans le genre, acquiesce : « Deux millions de personnes écrivent en France… Et pour ce que j’observe dans mes ateliers, les motivations et les publics sont multiples. J’accueille des jeunes et des moins jeunes de tous milieux (majoritairement des femmes), qui veulent s’exprimer, progresser, s’évaluer, ou juste essayer. »
Si la case atelier d’écriture n’a rien d’obligatoire pour se lancer, elle connaît un vif succès : « C’est un moyen de parvenir plus vite au plaisir d’écrire, d’éviter de se disperser, poursuit Martine Paulais. Ce n’est pas un genre forcément plus facile que le roman, mais nettement moins chronophage. »

Dans les lycées et par-delà l’enfermement

© Emmanuel Lemaire

Depuis 2013, N2L a enrichi la dimension pédagogique du concours avec le parcours « Métiers du livre » vers les lycéens, en partenariat avec l’académie de Normandie. « Cette année, 150 élèves (5 classes) y participent, dans le cadre d’un projet pédagogique qui va les amener à écrire individuellement une nouvelle, mais aussi à découvrir toute la filière du livre. »

Au long cours, l’opération vise à les sensibiliser à la lecture et à favoriser leur créativité, au travers de rencontres, avec un auteur dont chacun a lu un livre (1), un libraire indépendant et un éditeur normand. « C’est l’occasion de découvrir toute une filière et c’est la force de ce parcours pédagogique, souligne Françoise Guitard, déléguée académique à l’action culturelle. Ces rencontres, associées à la pratique de l’écriture, permettent une plus grande appropriation du projet par les élèves et une désacralisation du monde de l’écriture. Chacun passe en mode projet, sur toute une année. » Le parcours offre aussi une autre expérience de l’écriture aux élèves, « une écriture créative, avec un rapport différent aux mots et à la langue ».

Pour cette 15e édition, le concours confirme aussi son ouverture à des publics parfois éloignés du livre. Ainsi, après une première incursion, en 2019, en milieu carcéral à Évreux (lire l'encadré Inclusion / Les mots bougent les murs ci-dessous), le concours franchit les portes de la maison d’arrêt de Coutances cette année et s’étend à un centre de soins psychiatriques de la Fondation Bon Sauveur de la Manche à Saint-Lô. Là encore, un atelier de démarrage permet aux participants de se lancer dans l’écriture d’un texte dans l’optique du concours.

 

(1) Cette année, les auteurs invités sont Anne-Sophie Brasme, Marion Brunet, Arnaud Cathrine, Marcus Malte, Aylin Manço et Coline Pierré.

Inclusion / Les mots bougent les murs

Christophe Tostain © DR
L’écriture peut-elle soulager le poids de l’enfermement ?

L’an dernier, le concours de nouvelles de N2L s’est tourné pour la première fois vers le milieu carcéral, à travers un atelier et un accompagnement de détenus de la maison d’arrêt d’Évreux.

Objectif : les amener à écrire chacun une nouvelle.

L’auteur de théâtre Christophe Tostain (Compagnie du Phœnix) avait en charge d’animer cet atelier suivi par une quinzaine de volontaires. « Cette bonne participation peut s’expliquer par la bouffée d’oxygène que peut procurer l’écriture. Avec son papier, son stylo, dans un calme impressionnant, j’ai vu chacun rentrer à l’intérieur de soi, pour mieux s’ouvrir un espace de liberté. » Les participants avaient des profils très divers, certains déjà adeptes de l’écriture, d’autres non. « Écrire permet de structurer une pensée, de nommer des émotions, et peut aider à canaliser une colère. Le faire dans un cadre collectif stimule l’échange et, je crois, soulage. »

Cette année, le concours de nouvelles poursuivra dans cette voie, malgré la Covid. Une nouvelle expérience a lieu en maison d’arrêt (Coutances) avec des protocoles de distanciation et une démarche similaire en centre de soins psychiatriques (Saint-Lô).

Côté éditeurs

Découvrez l'interview de Martine Paulais, autrice, animatrice d’ateliers d’écriture et créatrice cet été de L’Ourse brune : [Entretien] Avec l’Ourse brune, chaque nouvelle est un livre

Du bonheur d’écrire…

En 15 ans, près de 2 000 écrivains amateurs ont participé au concours de nouvelles de Normandie Livre & Lecture. Pour beaucoup, le prolongement naturel d’une pratique solitaire indispensable.

Découvrez les interviews de :

2021, l’ombre de Flaubert

Pour son édition 2021, le concours de nouvelles de N2L a choisi le thème de « L’Éducation sentimentale », en lien avec le projet régional Flaubert 21 (bicentenaire de la naissance de l’écrivain).

Chaque participant aura comme contrainte de terminer sa nouvelle par la citation suivante : « Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. »

La nouvelle proposée ne doit pas dépasser les 15 000 signes (espaces compris).

Date limite des dépôts, le 4 mars.

>>> Informations et conditions d’inscription : concoursdenouvelles.normandielivre.fr
Autres concours de nouvelles : www.concoursnouvelles.com

Repères
  • 2 000 C’est approximativement le nombre de nouvelles produites depuis 2007 par les candidats au concours de Normandie Livre & Lecture (plus de 250 pour la seule année 2020).
  • 4 mars 2021 La date limite des candidatures pour l’édition 2021 du concours.

Des prix plus rares que pour le roman

Les prix qui récompensent des nouvelles sont bien moins nombreux en France que ceux consacrés aux romans.

On peut tout de même citer :

  • Le Goncourt de la nouvelle (décerné au printemps). Lauréate 2020 : Anne Serre, Au cœur d’un été tout en or (Mercure de France).
  • Le prix Boccace (décerné au printemps). Lauréat 2019 : Julien Syrac, Berlin on/off (Quidam).
  • Le prix du premier recueil de nouvelles de la SGDL (décerné en décembre). Lauréat 2019 : Eugène Green, Les Interstices du temps (Éd. du Rocher).

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[Dossier] Climats polaires https://perluete.normandielivre.fr/dossier-climats-polaires/ Wed, 30 Sep 2020 17:30:52 +0000 https://perluete.normandielivre.fr/?p=2171 Le succès du polar nordique ne se dément pas en France, encore moins en Normandie, où le festival Les Boréales a creusé un sillon qui profite aux auteurs du froid. Quinze ans après le raz de marée Millenium, romans policiers, noirs, mais aussi littérature dite « blanche » profitent de cette popularité.

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Le succès du polar nordique ne se dément pas en France, encore moins en Normandie, où le festival Les Boréales a creusé un sillon qui profite aux auteurs du froid. Quinze ans après le raz de marée Millenium, romans policiers, noirs, mais aussi littérature dite « blanche » profitent de cette popularité. Une valeur sûre des libraires où même de jeunes auteurs français font une incursion.

Laurent Cauville, avec Bertrand Arcil et Philippe Legueltel / aprim

La disparition de Maj Sjöwall, en avril dernier à l’âge de 84 ans, est passée inaperçue dans une France confinée. Pourtant, dix livres écrits avec son mari Per Wahlöö de 1965 à 1975 ont fait du couple les pionniers du polar nordique. Dans leur série Le Roman d’un crime, le personnage central, inspecteur dépressif, sert de vecteur pour dépeindre la société côté perdants. « Loin du récit à énigme, les auteurs y proposent un roman social, saisissant une situation dramatique pour refléter un pan de la société, un peu comme Manchette en France », analyse l’éditrice Anne-Marie Métailié, fan du genre. (Ces romans ont été publiés par 10/18 et actuellement par les éditions Rivages).

Politiquent engagé, le polar sauce Sjöwall et Wahlöö a inspiré des auteurs à succès comme Henning Mankell, Stieg Larsson ou Arnaldur Indriðason. Leurs titres vont déferler en France au début des années 2000. À Caen, la libraire et blogueuse Sophie Peugnez (Brouillon de culture et Zonelivre.fr), inconditionnelle du genre, en brosse les lignes de force. « Dans le polar nordique, les auteurs ne surjouent pas. On a l’impression de faire partie de la famille ou de l’équipe autour d’un personnage central assez ordinaire. La relation parent-enfant revient souvent, comme beaucoup de détails du quotidien. »

Un polar sociétal
David Pocholle :
« La littérature nordique blanche m’a amené au polar, pas l’inverse. » © aprim

Ce succès du polar nordique en France a-t-il pour autant stimulé une littérature nordique plus large ? Le Caennais Éric Boury, traducteur référence de l’Islandais, le pense. « Le polar est une vitrine qui a permis la découverte d’autres genres. Il nous apprend beaucoup de choses sur les sociétés nordiques. Il peut être aussi bon que la littérature “blanche”. Indriðason, par exemple, a amené des lecteurs vers d’autres types d’auteurs, comme Jón Kalman Stefánsson. »

Mais l’inverse est tout aussi vrai. Moins stéréotypé, le polar nordique a su séduire les adeptes d’une littérature « blanche » peu portés sur le genre policier. « La littérature nordique est trop souvent réduite au polar », s’étonne d’ailleurs David Pocholle, bibliothécaire à Caen (Alexis-de-Tocqueville) et coordinateur du guide gratuit Empreintes nordiques. « La littérature nordique blanche m’a amené au polar, pas l’inverse, avec des livres marquants comme Un inconnu vint à la ferme de Mika Waltari (Finlande), Entre ciel et terre de Stefánsson (Islande) ou Les Racontars de Jørn Riel (Danemark). »

Millenium et Boréales

La sortie en 2006 en France du tome 1 de Millenium a amplifié la vague. Dans le sillage de Stieg Larsson, le succès de sa compatriote Camilla Läckberg a attiré comme des aimants les lecteurs vers l’édition nordique au sens large. « Ces années 2006-2010 ont été un tournant, situe Sophie Peugnez. Beaucoup de lecteurs se sont ouverts à d’autres styles, pour moi par exemple à Arto Paasilinna ou Jón Kalman Stefánsson... » Des maisons d’édition (Gaïa, Zulma, Métailié) ont suivi. Enfin, « Les Boréales ont pesé, souligne Sophie Peugnez. Le festival est un merveilleux outil pour découvrir des écrivains et élargir ses horizons. Chaque année, la programmation me fait l’effet d’un tas de cadeaux de Noël... »

Habitué à sillonner la France, Éric Boury ressent aussi l’impact du festival sur le public. « Beaucoup de lecteurs normands lisent des auteurs nordiques, c’est évident. Plusieurs librairies en Normandie proposent un rayon nordique, je ne l’ai pas vu ailleurs. Le succès des Boréales n’y est pas pour rien. Ce festival laisse des traces. »

À noter enfin le rôle des éditeurs normands, petits et grands, qui ont ouvert leurs catalogues à ces auteurs, des PUC à Møtus, du Passage(s) à Cactus

Terres inspirantes

Cet engouement a sans doute un peu déteint sur la production d’auteurs français… De jeunes plumes se jettent dans ce bain glacé, souvent séduites par l’étrangeté des terres gelées, mélangée à l’ordinaire des vies qu’elles abritent. « Les sociétés nordiques nous fascinent par leur mélange si spécifique de familiarité et d’exotisme », dit le Nantais Mo Malø (lire son interview ci-dessous), attendu aux Boréales en novembre, et qui a jeté son dévolu sur le Groenland (Après Qaanaaq et Diskø, il publie Nuuk à La Martinière).

À l’instar de Mo Malø et Sonja Delzongle au Groenland, Ian Manook en Islande, Olivier Truc en Laponie…, une vague d’auteurs français s’empare de ces décors où se nichent de nouvelles confluences entre géopolitique, questions sociétales, corruption, enjeux écologiques… « Mon envie de me lancer est venue de ma fascination pour le Groenland et l’importance qu’il revêt dans le monde d’aujourd’hui (enjeux climatiques, énergétiques, politiques, etc.) »,  développe Mo Malø.

Nouveaux thèmes
L’Islandaise Lilja Sigurðardóttir, auteure de Trahison (Métailié, 2020), nouvelle vague du polar islandais. © metailie.com

Autre preuve de vitalité : la capacité de renouvellement du genre, pointée par Sophie Peugnez. « Les thèmes habituels, comme les difficultés familiales, les secrets, les addictions chez les jeunes, sont progressivement remplacés par des sujets d’actualité comme la corruption, l’écologie, le harcèlement… Comme dans Trahison, le dernier livre de l’Islandaise Lilja Sigurðardóttir. » Son éditrice, Anne-Marie Métailié, confirme avoir été embarquée par ce texte, « ancré dans les réalités du moment comme les questions de genre... On suit les aventures d’une femme issue de l’humanitaire qui devient ministre. Face à une nomenclature politique qui veut lui faire la peau. C’est Borgen ! »

Lire l'interview complète d'Anne Marie Métailié

À l’affût des nouvelles productions, le bibliothécaire David Pocholle confirme : « Les récits deviennent plus rugueux et j’observe une plus grande porosité entre les genres. L’Islandais Ragnar Jónasson résume bien cette tendance, avec Snjór (Points Seuil, 2016), polar captivant où le policier est un ex-étudiant en théologie, où chaque personnage est ombre et lumière. On peut citer aussi le Finlandais Antti Tuomainen ou la Suédoise Camilla Grebe. »

Sous la glace, la littérature polaire est un bouillonnement permanent.

Éric Boury traducteur à Caen de nombreux auteurs islandais, rappelle la place prise par la littérature de ce pays de seulement 366 000 habitants. © DR

Le poids de l’Islande

« En France on constate un essor des publications islandaises. C’est lié à la présence de traducteurs : pas de traducteur, pas de diffusion. En dehors de moi, il y a aujourd’hui Jean-Christophe Salaün, qui vit aussi à Caen, ou Catherine Eyjólfsson, basée en Islande. Tous les trois nous publions beaucoup.

C’est un pays où la BD et la littérature jeunesse sont quasi inexistantes. Par contre, beaucoup écrivent de la poésie, c’est une spécificité, même si ça reste assez confidentiel en diffusion. Malgré tout, les bibliothèques les achètent. L’Islande produit aussi pas mal de biographies et autobiographies. Globalement beaucoup de livres y sont produits, avec 800 sorties par an. Rapporté aux 360 000 habitants, c’est beaucoup. »

Lire l'interview complète d'Éric Boury

Mo Malø : « Un mélange de familiarité et d’exotisme »

Le Nantais Mo Malø
(série Qaanaaq) inscrit ses récits dans les décors nordiques, comme d’autres jeunes auteurs français. © Alexandre Isard
L’auteur de Nuuk (La Martinière), suite de Qaanaaq et Diskø, figure parmi les auteurs français inspirés par les atmosphères polaires.
Comment expliquer l’engouement du public pour le polar nordique ?

Je le constate et le partage plus que je ne l’explique. Je pense que ces polars reflètent inévitablement les sociétés dont ils sont issus. Et je suppose que celles-ci fascinent sous nos latitudes par leur mélange si spécifique de familiarité et d’exotisme. Ces pays sont à la fois proches géographiquement et en termes de fonctionnement, et très différents du nôtre en termes de culture et de climat. Ce cocktail contradictoire explique probablement notre attirance.

Comment en êtes-vous arrivé à écrire vous-même des polars nordiques ?

Pas en me disant que je m’inscrivais dans le genre ! Mon envie de me lancer dans la série Qaanaaq est venue de ma fascination très spécifique pour ce pays réellement à part qu’est le Groenland, un ovni sur nos planisphères. Ce qui le rend unique, ce n’est pas que sa taille et son isolement, mais bien ce grand écart entre l’image que nous en avons a priori – celle d’un gros glaçon vide et sans histoires – et l’importance qu’il revêt en réalité dans le monde d’aujourd’hui (enjeux climatiques, énergétiques, politiques, etc.). C’est ça que j’ai eu envie de partager avec les lecteurs.

Le polar nordique a-t-il été pour vous une porte d’entrée vers une littérature nordique plus large ?

Par nature j’ai des goûts éclectiques. Même dans le polar, je suis loin de ne lire que des Nordiques. Mais en effet, cet univers nordique m’a conduit à découvrir des auteurs que je n’aurais sans doute pas lus sans cela. Je pense en particulier au Norvégien Karl Ove Knausgaard et son incroyable autobiographie-fleuve.

Pensez-vous que la littérature nordique « blanche » soit suffisamment connue en France ?

Pour l’instant, sauf cas ponctuels comme celui mentionné ci-dessus, j’ai le sentiment qu’elle est assez méconnue. Ou plutôt, et je ne sais pas s’il faut s’en réjouir ou le déplorer, l’intérêt des lecteurs français semble surtout se porter sur le polar. Mais on peut espérer que celui-ci finisse en effet par faire « passerelle ». Peut-être manque-t-il aussi à notre époque un succès comparable à celui du Monde de Sophie en son temps, pour tirer dans son sillage d’autres auteurs de littérature nordique.

Les Baltes aussi

Eux aussi sont nordiques : les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) affichent une vie littéraire protéiforme, à l’image de l’Estonien Indrek Hargla, figure montante du polar teinté de science-fiction.

Dans un registre plus classique, des ouvrages récents ont marqué les esprits : L’Homme qui savait la langue des serpents, de l’Estonien Andrus Kivirähk, ou Vilnius poker, de Ričardas Gavelis (Lituanie)… Tandis que paraîtra prochainement en France le best-seller letton Soviet Milk, de Nora Ikstena (Lettonie).

Malgré la difficulté à trouver des traducteurs, la littérature balte inspire aussi des éditeurs normands. Le Lituanien Valdas Papievis est publié au Soupirail (Un morceau de ciel sur terre). Chez Møtus, Le Garçon au cœur plein d’amour est illustré par Stasys Eidrigevičius. Pour Les Boréales 2004, les PUC ont publié Cette peau couleur d’ambre, un recueil de nouvelles Lettonnes. Plus récemment, en 2018, Passage(s) sortait Le Jour où j’ai appris à voler, d’Indrek Koff…

Normandie Livre & Lecture veut aujourd’hui contribuer à tisser plus de liens entre Normandie et pays baltes, en facilitant l’accès des éditeurs régionaux aux catalogues baltes. Résidences et invitations croisées devraient se développer dans un avenir proche. À suivre…

>>> Normandie Livre & Lecture organise un événement en ligne du 19 au 23 octobre 2020 autour de la littérature lituanienne.

Agneta Ségol : « Encore beaucoup d’écrivains à découvrir »

Agneta Ségol - Traductrice d’auteurs suédois (Astrid Lindgren, Henning Mankell, Stefan Casta, Håkan Nesser, Tove Jansson…) ©
Agneta Ségol - Traductrice d’auteurs suédois (Astrid Lindgren, Henning Mankell, Stefan Casta, Håkan Nesser, Tove Jansson…) © DR

« La littérature nordique se fait une belle place, particulièrement en Normandie… Mais il reste encore beaucoup d’écrivains et d’œuvres à découvrir. Je suis ravie pour les polars, je me souviens de mon enthousiasme à la lecture de Roseanna, premier volume de la série Roman d’un crime, du couple Sjöwall-Wahlöö, qui a jeté les bases d’un roman policier critique, politique et socialement engagé. Mais je pense que le succès du polar nordique est aussi au détriment d’autres genres. […]

Je regrette qu’un auteur tel que Henning Mankell soit surtout connu en France comme auteur de polars. Il ne faut pas oublier son théâtre, sa « littérature blanche » ou ses livres jeunesse. […]

En Suède, nous avons aussi une auteure de romans graphiques extraordinaire, Liv Strömquist. Je citerai encore Tomas Tranströmer, ou la poésie de Kristina Lugn. Je tiens aussi à mentionner Ædnan (Sápmi-épopée) de Linnea Axelsson, poème de 800 pages qui retrace l’histoire moderne du peuple Sámi. »

Lire l'interview complète d'Agneta Ségol

Suivez le guide !

Créé à l’occasion du festival Les Boréales 2019, Empreintes nordiques propose une sélection d’œuvres et d’ouvrages de la bibliothèque de Caen, dans divers domaines. Le polar et la littérature blanche y occupent deux chapitres copieux. On doit ce guide aux bibliothécaires de la bibliothèque Alexis-de-Tocqueville.

« Nous voulons montrer la diversité nordique, y compris celle des pays baltes, insiste David Pocholle, coordinateur du projet. On y trouve nos coups de cœur, à travers une centaine de références qui vont des classiques aux nouveautés. » L’édition 2020 est attendue pour l’automne, enrichie d’une version numérique. Gratuit !

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